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Du burn out à une société en mutation

Photo : Shutterstock/MS
Sonia Spelen

Sonia Spelen

mer. 12 juin 2019

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Le compte rendu récent de l‘étude du conseil de l‘ordre du mois de novembre montre que sur les 6 800 chirurgiens dentistes qui ont répondu au sondage, 2 378 se déclarent en situation d‘épuisement professionnel, soit presque 6 % de la profession en France. Explication d‘un phénomène qui dépeint l‘atmosphère actuelle du pays et peut être même au delà.

Définir le burn out

Il est important de resituer cette étude dans son contexte. Actuellement la notion de burn out reflète un phénomène de mode, celui d‘utiliser de grands mots pour exprimer quelque chose de commun pour un plus grand nombre. Aussi face à un mal être émotionnel ou physique ou des difficultés relationnelles, on peut être enclin à voir dans le sondage le moyen d‘exprimer un état de détresse, encouragé par une tendance grandissante a plus facilement exprimer des doléances que de garder cache avec pudeur ses zones de fragilités comme le faisaient les générations passées. En effet, si on considère les conditions de vie et de travail de nos grands-parents et de nos ancêtres, nous sommes d‘accord pour dire qu‘il est difficile d‘oser prétendre être en plus grande détresse physique et morale. À commencer par les mineurs de leur temps. Rappelons donc tout d‘abord que le burn out est totalement relatif à un cadre professionnel. Or, il est courant de l‘entendre employer pour exprimer un mal être existentiel lié à d‘autres facteurs (passe émotionnel non règle, problèmes relationnels ou conjugaux, mauvaise hygiène de vie, mauvaise orientation professionnelle) parce que ces causes interfèrent avec la pression professionnelle et qu‘il est difficile de définir la part de chacun. Donc, même si d‘autres facteurs peuvent être en jeu, pour qu‘il s‘agisse de burn out, il faut que la cause de la rupture interne soit principalement professionnelle en raison d‘un rythme de travail et de relations anxiogènes qui exercent une pression sur une durée assez longue pour creuser un fossé entre l‘état psychique et physique de la personne et sa perception de ses capacités à y faire face.

Un métier balayé par la vague du changement

Pour autant, il est un fait que le métier de chirurgien-dentiste ne fait pas exception aux métiers qui imposent de nombreuses contraintes : responsabilités managériales, financières et techniques qui impliquent une maitrise constante de compétences complexes. Par ailleurs, l‘étude du conseil de l‘ordre rappelle que les contraintes administratives, juridiques et légales pèsent de plus en plus sur les épaules des chirurgiens-dentistes du fait des récentes r et des mutations qu‘elles ont commencé à entrainer. Le pouvoir des mutuelles, la mauvaise presse faite auprès des patients sur la dentisterie, les interdits en termes de publicité dans un monde de plus en plus compétitif et la recrudescence de centres low cost a proximité imposent à chacun de faire des choix stratégiques avec une visibilité obscurcie de l‘avenir. L‘exigence des patients va de pair avec une agressivité croissante et communicative devenue presque naturelle chez une majorité.
L‘avenir professionnel est donc légitimement mis sous les feux d‘une réflexion pertinente.

Une structure identitaire et des repères moins stables

Avec la remise en question ces dernières années de toute forme d‘autorité (représentants religieux, enseignants, policiers, parents, médecins ont perdu progressivement leur pouvoir de décision, jusqu‘au pouvoir présidentiel ces derniers mois), la structure identitaire de chacun et les repères stables qui servent de socle a sa construction mentale et émotionnelle ont été fortement ébranlées et expliquent la potentialisation de problèmes psychologiques. La faible capacité à faire face au stress est inversement proportionnelle aux changements pourtant inévitables dans une société ou vie professionnelle et affective sont en perpétuelle remise en question.

Les résonances de Schumann

La dimension du problème la moins connue reste un phénomène électromagnétique qui affecte l‘ensemble de notre société. Appelés résonances de Schumann (du nom du physicien qui les avait prédites), ce phénomène est l‘ensemble de pics spectraux dans le domaine d‘extrêmement basses fréquences du champ électromagnétique terrestre. Ces pics joueraient un rôle d‘amplificateur dans les changements actuels que nous observons dans les réactions de certains patients et partenaires professionnels. En effet, il semblerait d‘après certaines recherches, que les changements planétaires créent une interférence sur les personnes présentant déjà une fragilité psychologique en accentuant la perception de leurs blessures, et l‘expression de certains traits de personnalité comme l‘agressivité.Tout ceci expliquerait peut-être le constat de difficulté à répondre aux besoins des patients devenus naturellement plus tendus et de tensions relationnelles sans raison justifiée. Par voie de conséquence, une réaction en chaîne de comportements plus marqués se sont répandus chez un large public : difficulté à se projeter dans l‘avenir, repli sur soi et difficulté à manifester amour et bienveillance, augmentation d‘un besoin de fuir toute forme de frustration dans l‘utilisation exponentielle de smartphones, et autres stimulations virtuelles.

Que ces études soient ou pas confirmées dans les années à venir, le constat de ces tendances augure d‘un climat relationnel potentiellement source de problèmes récurrents et invite à un travail sur soi pour gagner en force intérieure et en justesse relationnelle, pour retrouver dans son cabinet un équilibre salvateur. Plus que jamais créer un environnement apaisant, réunir une équipe soudée et compétente et acquérir une communication impeccable peut vous permettre de vous préserver et de sortir du lot, pour être le cabinet ou retrouver confiance et sérénité.

Sonia Spelen vous propose de répondre aux questions suivantes disponibles, sur le site de France tv info et réalisées par Catherine Fournier, qui a listé douze signes anticipateurs de l’effondrement psychique et psychologique caractéristiques du burn out. Les réponses au questionnaire ont été établies par France TV info avec l’aide de contributeurs(trices ) spécialisés(ées).

Répondre par « Oui » ou par « Non » à chaque phrase.

  1. Pour x raisons – changement de poste, de chef, restructuration, nouvelles missions, etc., vous avez le sentiment de ne plus être aussi efficace au travail.

X Oui                          X   Non

  1. Vous présentez des troubles de l‘attention, de concentration, de mémoire. Vous ne trouvez pas vos mots, vous faites des erreurs.

X Oui                          X   Non

  1. Vous compensez avec des horaires à rallonge pour tenter de retrouver l’efficience antérieure, en vain.

X Oui                          X   Non

  1. Le repos n’est plus réparateur. Au réveil, au retour d’un week-end ou de vacances, la fatigue revient aussitôt. Vos ruminations sur le travail vous empêchent de dormir.

X Oui                          X   Non

  1. Contrairement à une dépression, vous n’avez pas le goût à rien, vous n’êtes pas triste tout le temps. Mais le travail est votre principale préoccupation.

X Oui                          X   Non

  1. Vous vous montrez irritable, vous avez des accès de colère. Vous passez facilement du rire aux larmes.

X Oui                         X   Non

  1. Votre entourage a beau vous alerter, vous êtes dans le déni par rapport à votre surmenage. Vous vous repliez sur vous, avec un sentiment de solitude grandissant.

X Oui                        X   Non

  1. Vous souffrez de maux de tête, de douleurs musculo-squelettiques, de troubles du comportement alimentaire, d’infections virales (ORL) à répétitions, de palpitations, etc.

X Oui                          X   Non

  1. Pour tenir le coup, vous avez recours à des substances psycho-actives (alcool, tabac, drogue).

X Oui                          X   Non

  1. Vous ressentez un épuisement émotionnel, renforcé par le déni de l’encadrement à l’égard de votre situation. Vos tâches se transforment en mission impossible.

X Oui                          X   Non

  1. Vous avez un comportement à risque, accidentogène.

X Oui                          X   Non

  1. Bienveillant d’ordinaire, vous devenez cynique à l’égard de vos « usagers » au travail (patients, clients, public, etc.). Vous travaillez frénétiquement mais mécaniquement.

X OUI                          X   NON

Si vous répondez « Oui » aux cinq premiers signes

Ne passez pas votre chemin. Les cinq premiers symptômes décrits ci-dessus sont déjà significatifs dans la mesure où le ≪ sommeil non réparateur et l’hyperactivité compensatrice ≫ au travail, sont deux des trois constantes d’un syndrome d’épuisement professionnel en gestation, selon Marie Pezé, psychologue spécialiste de la souffrance au travail contactée par France tv info. Pour autant, le burn-out ≪ est un processus, et non un état ≫ et son évolution est ≪ très lente ≫, explique Catherine Vasey, auteure de Burn-out : le détecter et le prévenir (ed. Jouvence) dans le magazine Psychologies. Autrement dit, il peut être interrompu en cours de route et présente différents degrés de gravité. Pour évaluer plus précisément votre degré d’usure, vous pouvez effectuer ce test en ligne. Le Malash Burn Out Inventory (MBI), conçu en 1981 par des chercheurs américains et valide au niveau international, il permet de mesurer, séparément, le degré d’≪ épuisement émotionnel ≫, de ≪ dépersonnalisation ≫ et d’≪ accomplissement personnel ≫ au sein de son activité professionnelle.

Car à ce stade, des sentiments positifs peuvent subsister à l’égard de votre travail et il faut puiser dans ses ressources. ≪ Le principe de base, c’est de ne pas focaliser sur ce qui est stressant, usant ≫, suggère Catherine Vasey, mais de se concentrer plutôt sur ce qui fait sens et apporte de la satisfaction. Lever le pied pour se ménager des moments de pause et de détente dans la journée est également essentiel. Objectif, selon la psychologue : ≪ Ne plus terminer une journée de travail en étant complètement épuisé, au point de ne plus pouvoir s‘investir dans sa vie privée. Il n’est pas juste de sacrifier toute son énergie au travail. ≫

Si vous répondez « Oui » jusqu‘au dixième signe

Le processus est bien enclenché, notamment si vous commencez à somatiser, en souffrant de maux physiques chroniques. Si vous consultez un médecin à ce sujet, c‘est le moment d’aborder le fond du problème. ≪ Quand on sort du deni, on a déjà fait la moitié du chemin ≫, souligne auprès de France tv info Francois Baumann, médecin et auteur de burn-out, quand le travail rend malade (ed. Josette Lyon). Un arrêt de travail temporaire peut-être envisagé pour prendre du recul et enrayer le processus. Le site Souffrance et travail publie la liste des consultations spécialisées par département.

Des stratégies peuvent aussi être mises en place dans votre milieu professionnel. ≪ Vous n’osez pas dire non à un surcroît de travail alors que vous êtes déjà débordé ? Essayez le : ‹ oui, mais plus tard ›, ou bien ‹ oui, mais aide-moi › ≫, suggère Agnès Martineau-Arbes, médecin du travail, dans L‘Express. Il faut commencer par accepter et reconnaître ses propres limites et apprendre à déléguer. Car dans le burn-out, ≪ on est souvent son pire ennemi ≫, analyse la spécialiste.

Catherine Vasey propose quant à elle d’identifier ≪ les lieux d’usure ≫ dans le travail afin de s’en extraire. ≪ Ce sont des tâches, des situations ou des personnes qui créent chez vous un sentiment d’impuissance, de lourdeur, de fatigue, qui vous vident de votre énergie. ≫ Et vous conduisent directement au signal numéro dix : l’épuisement émotionnels, symptôme typique du burn-out.

Si vous répondez « OUI » au onzième et au dernier signe

Attention, vous courez droit à la catastrophe. Le cynisme est généralement la dernière étape avant le burn-out. Le médecin ne se soucie plus de ses patients, le commercial vend n’importe quoi à ses clients et l’éleveur ne s’occupe plus de ses bêtes. C’est ce que les spécialistes nomment la phase de la ≪ dépersonnalisation ≫ et de la ≪ deshumanisation ≫. Arrivé à ce stade, le surmenage est déjà bien installé et, généralement, l’organisme craque en premier : zona, ulcère, accident cardio-vasculaire, etc. Cela peut, dans les cas les plus graves, aller jusqu’à’a la mort par excès de travail. Un phénomène baptise ≪ karoshi ≫ au Japon. Le suicide est l‘autre alternative dramatique du burn-out

Sur le plan psychique, un grand sentiment de vide vous envahit soudainement, ≪ comme un trou d‘air en avion ≫, dépeint Agnès Martineau-Arbes. Il est alors impossible de retourner travailler et cette incapacité peut durer de quelques mois à plusieurs années. Il faut alors entamer un long travail de reconstruction, dont les étapes sont décrites dans une récente étude de l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS). S’il est bien accompagné (par un médecin du travail, un psychologue), il peut être l’occasion de reconsidérer son rapport au travail et au temps. Et d’envisager une reconversion.

Sonia Spelen : Directrice pédagogique de la société Cohésion dentaire, issue du milieu depuis plus de douze ans, elle anime des formations en ressources humaines et accompagnent les chirurgiens-dentistes et leurs équipes. Auteure d’ouvrages spécialisés et d’articles, elle intervient dans le cadre de congrès et de soirées pour les associations dentaires. Formée en coaching, PNL, hypnose dentaire, médecine psychosomatique et dans de nombreuses disciplines complémentaires, elle dirige une équipe de recherche sur la mise en place de protocoles innovants.

Marie Peze (psychologue specialiste de la souffrance au travail). • Catherine Vasey (auteure de Burn-out : le détecter et le prévenir (ed. Jouvence). • Dr Francois Baumann, médecin et auteur de Burn-out, quand le travail rend malade (ed. Josette Lyon). • Dr Agnes Martineau-Arbes, médecin du travail.

Note de la rédaction : Article paru dans le journal Dental Tribune France, volume 11, numéro05/2019.

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