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La réalité modifiée en prothèse conjointe

Réglage de la balance.
Éric Berger

Éric Berger

mer. 12 mars 2014

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« Ma main se sent touchée aussi bien qu’elle touche. Réel veut dire cela, rien de plus », Paul Valéry. Dans notre quête de l’esthétique l’ensemble de nos sens est mis à contribution, pour révéler à notre esprit ce qu’est la réalité morphologique et colorimétrique de la dent à remplacer. Cette réalité est définie par rapport aux moyens que nous avons à disposition pour la percevoir. Le réel est alors une perception analytique simulée par notre cerveau. Pour créer cette dent, il nous faudra analyser la réalité du patient, de son entourage, de l’équipe de réalisation prothétique (le praticien, le prothésiste, l’assistante). La synthèse établie selon ces diverses exigences, aboutira à la réalisation de la prothèse selon les critères d’une réalité modifiée.

La réalité de l’équipe prothétique

Les moyens mis en œuvre

Pour nous professionnels, la couleur de la dent est une combinaison de luminosité, saturation et teinte (chroma). Sans revenir sur ce principe colorimétrique, la perception de notre œil a bien du mal à analyser ces différents vecteurs. Dans notre protocole de prise de teinte, il nous faut faire une synthèse de ces éléments sous différents éclairages : lumière du jour, lumière artificielle, lumière stabilisée (6 500 Kelvin). Le spectrophotomètre, tel que le VITA Easyshade, est sans aucun doute un allié de poids dans cette recherche. L’obtention d’une photo numérique avec échantillons de référence, est indispensable à notre démarche.

Analyse du praticien

Pour l’étude de couleur : cette démarche au cabinet est rendue difficile par la multiplicité des teintiers, parfois imposés par le prothésiste pour simplifier son travail. Pour cette étude nous nous arrêtons sur le teintier VITA 3D-Master, qui est le seul à pouvoir quantifier les trois composants de la couleur (luminosité – saturation – teinte). La démarche s’en trouve maintenant simplifiée grâce au VITA Linearguide, qui comme son nom l’indique, guide le praticien, grâce à un protocole simple mais rigoureux.

Pour l’étude de forme : « La forme fait la fonction » ; c’est par cette théorie que la dynamique prothétique peut être abordée. Elle conduit à un équilibre prothétique et une intégration de la dent, par une forme biogénériquement étudiée (type morphologique, âge, usures).

Perception du prothésiste

Pour l’étude de couleur : l’analyse par stratification permet au céramiste dentaire de quantifier les poudres de céramique à utiliser, pour la réussite colorimétrique de la dent. Une cartographie des indices de personnalisation grâce à des photos numériques, est un outil indispensable à l’individualisation de la prothèse. La place disponible et le choix de matériaux de l’infrastructure (métal, zircone, alumine, feldspathique), conditionne le montage du céramiste.

Pour l’étude de forme : la connaissance pointue de toutes les caractéristiques de la dent est incontournable. Le positionnement et la rotation de la dent, permettent l’intégration au milieu buccal du patient. L’assistance de la CFAO et des possibilités biogénériques des logiciels bio, est un complément non négligeable à cette étude. La dextérité du prothésiste induisant la réussite ou l’échec, il est opportun de noter que pour une réalisation par conception assistée par ordinateur, elle s’avère tout aussi indispensable.

Perception de l’assistante dentaire

Elle propose bien souvent une vision féminine de la perception, en se voulant toujours rassurante pour le patient. C’est un choix apaisant qu’elle propose, guidé par ses valeurs personnelles, proches de l’analyse de la réalité du patient.

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La réalité du patient

Ses espérances

Guidé par son passé prothétique, la psychologie tient un grand rôle dans sa perception de réussite prothétique. Le patient aspire à une réorganisation de ses dents et une intégration invisible de sa prothèse. Il veut quelque chose de plus droit, plus blanc, plus carré. Sa volonté fait appel à ses nouvelles capacités masticatoires, mais surtout à l’esthétique de ses futures dents. La connaissance des nouveaux produits biocompatibles le pousse en fonction de ses moyens, à opter pour ces techniques. L’aspiration de revendiquer un niveau social élevé est aussi à prendre en compte, pour le choix des matériaux d’infrastructure et de suprastructure. À l’inverse, la capacité financière de celui-ci demeure indubitablement un frein, pour accéder aux techniques coûteuses.

La réussite colorimétrique de la teinte du patient, se perçoit essentiellement à la valeur de la lumière artificielle de sa salle de bain ! On comprend alors le besoin d’utiliser plusieurs éclairages, pour parfaire notre point de vue. En fonction d’une expérience passée plus ou moins douloureuse, les valeurs des critères d’exigence du patient, seront plus ou moins élevés (échecs prothétiques successifs).

La réalité de ses proches

Si le patient est influençable, ce paramètre devient essentiel. C’est l’historique prothétique des amis, parents, qui va être mise en avant et conditionner une partie de sa réflexion. Cependant, ce qui était possible chez l’un ne l’est pas forcement chez l’autre. Les critères de réussites étant largement dépendant du cas, on perçoit immédiatement le besoin essentiel de dialogue, de l’équipe prothétique avec son patient.

La réalité commune
L’impact de la société sur notre perception du beau, prend dans notre société contemporaine une place de plus en plus importante. Les différents médias véhiculent une image édulcorée et standardisée du beau. Les perceptions dites latines tendent à diminuer, au profit de l’image américanisante de la star de cinéma. Les règles sociales de l’esthétique deviennent générationnelles et changent donc, en fonction de l’âge du patient. Le carré, le droit, le blanc, semblent être les aspirations des futures générations. Cette nouvelle donne simplifie le travail du prothésiste, car elle fait abstraction de toute volonté de copier le réel. Fort heureusement, les codes sociaux sur ce qui est beau varient d’un pays à un autre. C’est d’ailleurs une valeur indispensable qu’il faut alors analyser, si l’équipe de travail (cabinet – laboratoire) est implantée dans différents pays.

La réalité modifiée

Le réel et la volonté de le reproduire

Pour une centrale unitaire : en tant que professionnel, notre volonté est de reproduire au plus près la réalité. L’interprétation de la réalité n’est nullement possible ici. Il nous faut au contraire utiliser tous les outils précédemment cités, pour aspirer au réel. Seul la limite de la technique face au cas, peut être un frein à la réussite. L’analyse avant le choix d’une technique plutôt qu’une autre, est incontournable. L’application de ces principes peut aussi dans le cas favorable, être utilisée pour une restauration plurale.

Exemple : voici le cas d’un bridge CEREC Connect (acquisition numérique en bouche et envoi du fichier numérique au laboratoire pour réalisation). Cet exemple montre que toute l’étude précédente a pu être faite et envoyée de façon dématérialisée à mon laboratoire. L’utilisation d’armature en dioxyde de zirconium avec coloration maîtrisée est le vecteur de la réussite esthétique.

Pour une restauration conjointe plurale : le réel fait appel aux dents restantes et une analyse biogénérique s’impose. Il est intéressant de faire un aparté sur les bridges transvissés. Dans ce cas, la réussite technique prévaut devant l’aspect esthétique. Cependant, une analyse initiale pointue permet bien souvent d’allier ces deux impératifs sur une même prothèse. La volonté du patient doit être immédiatement décelée en amont, pour pouvoir lui expliquer la faisabilité de ses exigences.

Exemple : une réalisation complète haut et bas transvissée est le parfait exemple de longues concertations cabinet-laboratoire. L’avis du patient sur son besoin de « rajeunir » fut aussi pris en compte dans le choix prothétique. Bien entendu la dynamique de la prothèse (dans ce cas équilibration balancée travaillante et non travaillante) n’a pas été oubliée.

Les choix techniques en fonction du cas

Pour une centrale unitaire : le choix de la technique de taille ainsi que des infrastructures prothétiques non adaptées, peuvent être un sérieux handicap pour cette quête.

Pour une restauration conjointe plurale : c’est un véritable compromis entre les différents protagonistes de la restauration, qui conduira au succès final.

Choix final de la perception esthétique

L’étude primaire avant réalisation est indispensable, tant pour l’aspect morphologique que colorimétrique. Le dialogue engendré par cette étude doit être riche bien que dirigé par les maîtres d’œuvre professionnels (le dentiste avec l’assistance du prothésiste). La totale réussite n’est que le fruit d’un étroit esprit d’équipe qui doit nous animer.

Conclusion
La valeur de ce qui est réel semble donc être une variable considérable en fonction des différents acteurs de la réalisation prothétique. Les vecteurs sociaux sont aussi importants que la limite des matériaux utilisés. Cependant, il est sûr que la réussite n’est possible que par une étude préprothétique approfondie, et un échange technique aboutissant au meilleur compromis, face à l’unicité du cas.

Cet article n’est cependant qu’une ébauche sur cette réflexion, tant cet univers est vaste. C’est bien cette complexité qui nous passionne et nous oblige sans cesse à relever de nouveaux défis prothétiques et parfaire sans cesse nos techniques.

Note de la rédaction : une liste complète des références est disponible auprès de l’éditeur. Cet article est paru dans CAD/CAM France, numéro 01/2014.

 

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