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Croquer la vue à pleines dents

Retrouver la vue grâce à une dent (Photo : Sandi Mako / Shutterstock)
DT France

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jeu. 26 mars 2015

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MARSEILLE, France : Le professeur Louis Hoffart, chef du service d'ophtalmologie de la Timone rend la vue à des aveugles, grâce à une prothèse oculaire taillée dans une dent. Il est le seul praticien en France à réaliser cette opération chirurgicale d´une extrême complexité, et travaille en coopération avec son confrère Laurent Guyot, chef du service de chirurgie maxillo-faciale du même établissement.

La technique, baptisée ostéo-kératoprothèse, a été mise au point dans les années 70 par un médecin italien, le Dr Benedetto Stampelli, mais elle n'est que très peu pratiquée dans le monde, en raison de la complexité de l'intervention. Cette opération de dernière chance, s'adresse à des personnes aveugles des deux yeux, chez qui tout a échoué auparavant. En France, le professeur Hoffart est seul praticien à réaliser cette chirurgie de l'extrême, en coopération avec son confrère Laurent Guyot, chef du service de chirurgie maxillo-faciale de la Timone. Le professeur Hoffart précise : « En général, ces patients ont perdu la vue après des brûlures oculaires graves, ou des maladies auto-immunes qui ont obstrué totalement la surface de leur oeil. Leur tissu oculaire est tellement endommagé qu'une greffe de cornée est devenue impossible. En dessous pourtant, l'oeil reste bon ».

Lorsque le Pr Louis Hoffart explique à ses patients l'incroyable intervention qu'il leur propose, beaucoup restent incrédules. « Il s'agit en effet d'utiliser une dent pour implanter une prothèse oculaire », confirme le spécialiste. La technique consiste à utiliser en autogreffe une canine du patient, afin de servir de support à une minuscule lentille focale, qui permettra de conduire la lumière jusqu’à la rétine. Pourquoi une dent ? « Parce que les matériaux synthétiques sont rejetés par l’oeil, et que les os sont progressivement dissous. Seule la dentine est à la fois tolérée et résistante », explique le profeseur Hoffart.

Une fois la canine prélevée, les chirurgiens la débitent, afin de récupérer une fine plaquette d'une douzaine de millimètres. Puis ils réalisent un petit trou au milieu, y collent le hublot. Avant d'être implantée dans l'oeil, la dent va d'abord être « mise en nourrice » dans la joue du patient : « Une mise en culture de six mois dans la pommette, permet de vasculariser la prothèse. Des tissus se créent autour, et vont rendre possible l'implantation », souligne Louis Hoffart. La dent va ensuite être suturée sur une autogreffe de muqueuse orale après extraction de la cornée, de l'iris, du cristallin, qui ne sont plus fonctionnels car trop endommagés. Le hublot va permettre de conduire la lumière jusqu’à la macula -la zone de la rétine responsable de la vision centrale- et restaurer, par ce tunnel de lumière, une stimulation du tissu sensoriel.

Pour ces patients aveugles, qui vivent dans l'obscurité depuis de nombreuses années, c'est une renaissance. « Progressivement, ils vont récupérer la perception de la lumière, des contours, la vision des couleurs. Ils recouvrent en moyenne une acuité visuelle de 4/10e, qui pourra s'améliorer encore avec le port de lunettes. Ils redeviennent autonomes, peuvent retrouver une vie normale. Certains parviennent même à lire ». Le Pr Hoffart ne cache pas toutefois que cette intervention est risquée. « De graves complications sont possibles, problèmes d'infection, de décollement de rétine, de glaucome ». Raison pour laquelle elle n'est jamais pratiquée sur les deux yeux, et reste réservée aux patients pour lesquels c'est la dernière chance de recouvrer la vue.

Le spécialiste ajoute : « La prochaine étape dans le traitement de ces types de cécités principalement d'origine cornéenne, c'est la thérapie cellulaire. Mais les techniques ne sont pas encore au point. Elles le seront sans doute dans dix ou quinze ans. On ne peut pas demander aux patients qui souffrent d'attendre les progrès de la science sans rien faire ». Cette opération constitue donc un espoir immense après des années de cécité et de parcours du combattant, entre greffes de cornées, rejets, déceptions et douloureuses complications pour les rares patients pouvant bénéficier de cette technique.

En attendant les avancées promises par la thérapie cellulaire, le Pr Hoffart voit plus loin. « Lorsque les dents du patient sont abîmées, nous cherchons à proposer une alternative. La prochaine prothèse oculaire que nous poserons sera réalisée non plus avec une canine, mais avec du cartilage prélevé sur l'oreille du patient ». Compte tenu de la lourdeur, des risques et des limites de cette intervention, notamment sur le plan esthétique, la décision est toujours mûrement réfléchie. « Mon prochain patient est un jeune homme de 27 ans, de Besançon, qui est devenu aveugle en faisant exploser une bombe artisanale dans sa chambre. Si nous réussissons à lui rendre un peu de vision, cela va complètement changer sa vie », souligne le praticien.

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