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Le principe du filtre : chaque patient est-il le patient des examens de dernière année ?

DTI/Photo : Yuri Arcurs
Simon Hocken

Simon Hocken

ven. 27 septembre 2013

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« Votre travail va remplir une large partie de votre vie et l’unique façon d’être vraiment satisfait est de faire ce que vous croyez être du bon travail. Et l’unique façon de faire du bon travail est d’aimer ce que vous faites. Si vous n’avez pas encore trouvé, continuez à chercher. Ne laissez pas tomber. C’est comme en amour, vous saurez quand vous aurez trouvé. Et, comme toute grande histoire, c’est de mieux en mieux au fil des années. Alors continuez à chercher jusqu’à ce que vous trouviez. Ne laissez pas tomber. » Steve Jobs, président-directeur général d’Apple Inc. 2005

Vous vous souvenez des examens de dernière année ? Bien sûr que oui ! Les profs choisissaient minutieusement les patients et nous devions les examiner, poser un diagnostic puis proposer un plan de traitement. Les patients sélectionnés pour ces examens avaient évidemment la malchance de ne pas souffrir que d’un seul problème dentaire et pour être bien notés, il nous fallait les trouver tous et être capables de proposer un ensemble de solutions pour les traiter.

Plus tard, nous sommes à peu près tous entrés dans la vie professionnelle, et nous avons vu défiler devant nous, jour après jour, une foule de patients que nous considérions comme nos patients de dernière année. Maintenant ces patients-là sont prêts à nous payer pour entendre notre jugement professionnel et nos meilleures solutions, et à accepter nos honoraires pour accomplir ce travail. Pourtant, il n’en est pas toujours ainsi, n’est-ce-pas ?

Il y a une chose qui se passe dans un cabinet dentaire (qu’il soit public, comme le service national de santé [NHS] ici au Royaume-Uni, ou bien mixte, ou encore privé) dont on parle rarement dans les revues professionnelles, les forums en ligne ou même aux bars des congrès d’odontologie. « Et c’est … ? » allez-vous me demander. Tout simplement ceci : de nombreux chirurgiens-dentistes reçoivent leurs patients en consultation, les examinent, posent un diagnostic et leur proposent un plan de traitement, mais plus de la manière dont ils le faisaient pour leurs patients de dernière année d’étude. Ils utilisent au contraire une sorte de filtre, un filtre dont les patients n’ont absolument pas conscience, et qui est constitué d’éléments complexes. Durant mes 25 années passées à pratiquer la médecine dentaire, suivies de 10 années d’encadrement de jeunes praticiens, je pense avoir tout entendu et vu, ou au moins les effets qui en découlent. Ce filtre, voici ce dont il peut être fait, partiellement ou entièrement :

1. Le patient m’appréciera-t-il si je lui dis tout cela ?
2. Le patient reviendra-t-il si je lui dis tout cela ?
3. Le patient pense-t-il que je fais de la surprescription ?
4. (Pour les patients en renouvellement de traitement), si je dis tout cela au patient maintenant, ne va-t-il pas se demander pourquoi, bien franchement, je ne lui ai rien
dit avant ?
5. Le patient va-t-il être prêt à payer pour tout cela ?
6. Si je persuade le patient que je détiens le Plan avec un grand P pour son traitement, que se passera-t-il si je fais fausse route ?
7. Au fond, tant que je tiens mes dossiers à jour, je me maintiens dans la stricte légalité.

L’ennemi dans tout cela, il faut le chercher dans la crainte. Mais pas celle du soigné, non, celle du soignant. Le filtre est alors mis en place, et le patient se voit offrir le plan de traitement que le clinicien pense être absolument indispensable, ou qu’il juge en tout cas utile pour son client. Il est même probable qu’il écartera tout le reste jusqu’à ce que le traitement devienne nécessaire ou utile (tout au moins le pense-t-il). Un filtre qui vient se superposer est, évidemment, celui qui pousse le praticien à proposer des traitements avantageusement payés, ou tout au moins, lui permettent d’effectuer le plus grand nombre de procédures dentaires.

Je voudrais maintenant vous donner à réfléchir sur une analogie. Imaginez que vous portez votre voiture pour la révision des 50 000 km. Elle a 3 ans et vaut 30 000 euros. Alors qu’il est occupé, le garagiste constate que, outre les pièces nécessitant un entretien ordinaire, deux jeux de garnitures de frein sont usés. De plus, les disques avant sont voilés, les amortisseurs arrière fuient, et les témoins d’usure de la bande de roulement sont presque visibles sur deux pneus. En tant que client, que souhaiteriez-vous entendre lorsque le garage vous appellera ?

1. Le garagiste vous énumère les problèmes, les options de réparation et le prix pour remettre tout en ordre.
2. Le garagiste vous énumère les problèmes que, selon lui, vous voulez bien entendre.
3. Le garagiste vous énumère les problèmes que vous serez en mesure de voir vous-même.
4. Le garagiste vous énumère les problèmes que, selon lui, vous êtes prêt à faire réparer.
5. Le garagiste vous énumère les problèmes dont la réparation lui rapportera le plus gros montant.

Et que va faire le garagiste des problèmes qu’il ne vous a pas dit ? Peut-être inscrire une note sur ses fiches, telle que « à surveiller de près », et décider de vous faire part de ces problèmes lors du prochain entretien ?

Devoir de vigilance

Je suis persuadé que ma comparaison entre un clinicien et un garagiste fait déjà sourciller certains d’entre vous, mais cette analogie ne s’arrête pas qu’au kilométrage de révision. Après avoir réglé la facture de l’entretien, vous repartez du garage avec les problèmes que l’on a omis de vous dire. Un enfant passe en courant devant votre voiture et vous ne pouvez pas freiner à temps en raison des pneus, garnitures de frein, disques, amortisseurs usés. L’enquête menée suite à l’accident fait apparaître les « oublis » et dès ce moment, la chasse aux sorcières est lancée.

Un garagiste scrupuleux ne prend pas un tel risque, il ne mènerait qu’à la ruine de sa réputation. Un garagiste scrupuleux honore son devoir de vigilance et se doit de vous dire exactement les problèmes qu’il a constatés en révisant votre voiture. Alors, où est la faille lorsqu’un patient termine une chirurgie dentaire avec la moitié d’un plan de traitement seulement ?

Selon moi, tout vient du fait que nous, cliniciens, avons perdu la relation de confiance, simple et directe, que nous avions avec le patient lorsque nous étions des étudiants de dernière année. Les facteurs extérieurs, tels que les contraintes des compagnies d’assurance, de la situation économique, des finances du cabinet dentaire et, probablement le plus important, notre manque de confiance et de respect envers notre propre personne, ont filtré notre comportement à tel point, que nous acceptons de compromettre nos compétences professionnelles et notre intégrité pour être appréciés, garder le patient ou demeurer dans notre « zone de sécurité ».

Maintenant, qu’en pensez-vous ? De mon côté, pas si brillant et motus aux journaux nationaux. Lorsque j’ai quitté le NHS en 1992, j’ai décidé de me débarrasser de tous mes filtres, pour simplement montrer et dire à mes patients ce que je pouvais faire pour eux, comme je le ferais pour ma famille, sans que le temps et l’argent ne soient une entrave. J’ai suivi exactement la même démarche dans mon cabinet de conseil. J’ai eu la chance d’être encadré par certains coaches remarquables qui m’ont appris que bien souvent, c’est juste avant d’être « remercier » (pour dire les choses telles qu’elles sont) que vous révélez vos meilleurs talents d’entraîneur. Et c’est exactement ce que je fais pour nos clients.

Selon moi, on doit décider du chirurgien-dentiste que l’on veut être : soit un praticien anxieux travaillant à la pièce, « une dent à la fois, s’il vous plaît ! », à jamais condamné à engranger 1 200 euros brut par jour tout en déplorant que les patients ne veulent pas de votre traitement ; ou alors un praticien qui parle clairement et directement à ses patients de ce qu’il voit dans leur bouche, et de la meilleure solution pour régler leur problème, leur donnant ainsi le droit de décider de leur santé, et de prendre la décision d’être traités ou pas.

Note de la rédaction : cet article est paru dans la version française de CAD/CAM, Vol. 3, No. 3, septembre 2013.

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