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L’ergonomie avec des loupes

Plus on monte le patient plus on relève la tête et le regard. (Images : Dr David Blanc)
Dr David Blanc

Dr David Blanc

lun. 18 juillet 2016

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Les aides optiques sont souvent recherchées afin d’améliorer l’acuité visuelle, et d’éviter de se rapprocher de son patient. La définition de l’ergonomie c’est adapter le travail à l’homme, or trop souvent les praticiens se rapprochent du patient pour voir plus gros, au détriment de leur dos ou leurs cervicales. Hormis le microscope, les loupes binoculaires sont en général le premier choix d’aide optique fait par les praticiens. D’une part probablement pour des raisons de coût, mais d’autre part pour une conservation d’un champ de vision compatible avec l’omnipratique. Il y a différents éléments à prendre en compte pour le choix de vos loupes.

Le premier est la distance de travail :

Avant tout il faut que l’œil soit emmétrope ou corrigé, que ce soit par des lentilles de contact ou des corrections intégrées aux loupes. La distance de travail est souvent déterminée par les distributeurs d’aides optiques à l’aide de la distance de Harmon. C’est la distance entre le coude et la pince pouce/index. Cela correspond à la distance recommandée pour la lecture mais cela donne une indication théorique. Cette distance varie donc en fonction de la taille du praticien. Or cela n’a pas de rapport avec la capacité de convergence et d’accommodation de l’oeil humain. L’anatomie de l’oeil humain n’est pas différente en fonction de la taille du sujet. Donc il s’agit d’une distance de confort pour le coude, et pas pour l’oeil !

En horlogerie de luxe, en joaillerie, beaucoup d’artisans travaillent en permanence à 25 cm avec des loupes binoculaires, ils conservent cette distance pendant de nombreuses heures. Cependant une fatigue peut apparaître en fin de journée. L’activité de chirurgie dentaire est différente de la lecture ou de la joaillerie, nous ne sommes pas focalisés en continu sur la zone de travail, il y a souvent des variations de distance de vision tout au long d’un acte, pour de multiples raisons : lorsque l’on parle à l’assistante, lorsqu’on change d’instrument, lors de la prise d’une empreinte, lorsqu’on regarde l’écran d’ordinateur, etc… Ce qui repose les yeux. Une distance courte est donc tout à fait compatible avec notre activité, puisqu’elle n’est pas permanente. Certains ophtalmologistes recommandent la règle des 3/20 : regarder toutes les 20 minutes à 20 mètres pendant 20 secondes.
 

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Rechercher une distance la plus courte possible est important pour effectuer un grossissement, mais aussi pour éviter de trop baisser la tête et les yeux. Plus le patient sera bas, plus il faudra baisser les yeux ou la tête. Plus on monte le patient, plus notre regard se relève. (Fig. 1 a et b)

Une distance de travail (ou distance focale) de 35 cm paraît être un bon compromis. Mais attention, cela correspond étonnamment à une distance de 30cm entre notre oeil et les incisives centrales du patient. En effet, d’une part avec un patient monté à 30 cm, les molaires mandibulaires vont se trouver à 35 cm. D’autre part en vision indirecte le miroir va être positionné le plus loin possible, parfois contre les dents mandibulaires, parfois dans le vestibule mandibulaire, voire hors de la cavité buccale afin d’éviter les projections. Le miroir sera donc à 5 cm ou plus de la dent, et l’image virtuelle vue sera à 5 cm ou plus au fond du miroir, et la distance totale de travail sera alors de plus de 40 cm !

Faites le test, quand vous vous brossez les dents debout dans votre salle de bains, si vous êtes à un mètre du miroir, votre image sera à un mètre derrière celui-ci ! (Fig. 2). En conclusion il faudra demander à votre fournisseur de loupes une distance focale d’environ 30 à 35 cm, et surtout monter votre patient à 30 cm de vos yeux !

L’installation du patient :

Pour pouvoir monter votre patient à 30cm, en ayant un axe de vision acceptable, il faudra qu’il soit totalement allongé sur une table de soins dentaires ou un fauteuil permettant de le transformer en table, et que sa tête soit en extension à partir de l’occiput. Si vous conservez un patient demi assis, vous ne pourrez pas obtenir une distance de travail courte, votre patient se retrouvera comme chez la plus part des praticiens à 50 cm, sa tête sur vos genoux, le dossier gênant vos cuisses, et vos cervicales ou lombaires trop fléchies.

L’angle d’inclinaison des loupes :

Il est parfois imposé par le fabricant, mais devrait être réglé sur mesure, car il dépend de la hauteur à laquelle vous positionnez votre patient. En montant ce dernier à 30cm de vos yeux comme il se doit, cet angle d’inclinaison sera plus faible que dans les modèles de loupe standard. Mais il est important de l’adapter car cela vous évitera de faire un effort pour baisser les yeux toute la journée. Selon les marques cet angle peut être réglé puis fixe, mais aussi modifié selon l’acte à effectuer au cours du soin.

Quel grossissement ?

Classiquement on recommande un grossissement d’environ x 2.5 pour l’omnipratique, ce qui est réalisé grâce à des systèmes Galiléens plus légers (Fig. 3). Au-delà et jusqu’à x 5 à x6 le système est de type Kepler (Fig. 4). Plus le grossissement est important plus la largeur et la profondeur champ de vision se réduit. Le système Kepler est aussi plus lourd et plus encombrant avec un bras de levier plus important pour les cervicales. Il est donc à réserver à des actes bien particuliers, et d’utilisation ponctuelle. Les systèmes Galiléens sont plus légers et donc utilisables tout au long de la journée. Mais attention, d’après une étude de NEUHAUS K.M. et al en 2013, en fonction des marques le grossissement annoncé peut-être différent du grossissement mesuré. Le champ de vision peut paraître alors plus grand grâce à un grossissement plus faible qu’annoncé. Cela pourra convenir à certains, mais lors de votre choix il faudra comparer les différentes loupes afin de trouver ce qui vous convient le mieux en termes de grossissement et de champ visuel, en fonction de votre activité et de vos préférences.

Faut- il des transfixées (TTL), des Flip-up, un casque ?

La nécessité d’une correction optique peut être un critère déterminant pour le choix. Les Flip-up sont des systèmes relevables (Fig. 3 ou 4), pour lesquels la correction optique est gérée facilement en 1h par les opticiens. Par contre il est préférable d’utiliser une monture rigide et confortable, et d’éviter les montures de type sport. Toutes les Flip up ne sont pas beaucoup plus lourdes que les TTL, n’hésitez pas à comparer chaque marque.

Les TTL sont des loupes qui traversent le verre de la monture, leur position est fixe, ce qui demande une mesure de la distance inter-pupillaire, et fige l’angle d’inclinaison des loupes.

Avec les TTL il est beaucoup plus long de refaire une correction optique, et passé 40ans la presbytie augmente régulièrement jusqu’à la retraite. Elles sont donc peut être plutôt réservées aux praticiens les plus jeunes, sauf si vous êtes un inconditionnel des TTL, auquel cas il vous faudra vous en passer régulièrement pendant
3 semaines pour refaire votre correction. Il existe cependant des clips de correction pour vision de près et intermédiaire, qui peuvent être changés à chaque évolution de votre vue.

Les TTL ont une lentille plus proche de l’œil que les flip-up, ce qui en théorie permet d’avoir un champ de vision plus large. Cependant encore une fois il faut comparer les différentes marques en testant dans les mêmes situations sur la même bouche, il peut y avoir des surprises.

On recherche souvent la légèreté, mais il faut préférer le confort au niveau de l’élastique derrière la tête, les branches, le type appui en silicone pour le nez , etc… Les casques sont à utiliser si on préfère un appui sur la tête plutôt que sur le nez et les oreilles, et que l’on veut éviter les lunettes, mais il faudra de toutes les façons des lunettes de protection. Ce système atteint ses limites avec le port de la charlotte. Il est surtout utile lorsqu’il y a plusieurs praticiens qui l’utilisent.

Profondeur, largeur de champ et précision d’image:

Certaines marques ont fait le choix de la précision de l’image, au détriment de la profondeur du champ (5 cm), d’autres ont fait le choix de privilégier la profondeur de champ (10 à 15 cm) au détriment de la précision. Ces deux notions paraissent difficiles à obtenir en même temps, les verres Zeiss aurait tendance à privilégier la précision et les verres Leïca la profondeur de champ, comme c’est le cas pour les loupes 3MC concept ®.

Profondeur et largeur de champ doivent être mesurés à distance de travail égale, en effet, cette largeur augmente si la distance focale est grande. Donc comparez, faites vos mesures avec des loupes qui ont la même distance focale. Ne vous laissez pas convaincre par une profondeur de champ de 20cm si elle est mesurée à 50cm, alors que vous avez compris qu’il faut monter votre patient à 30cm de vos yeux.

L’éclairage :

Il est indispensable d’utiliser un éclairage LED avec les loupes. Le grossissement va diminuer la luminosité. Il faut qu’il soit placé au plus près de l’axe inter pupillaire afin d’éviter les défauts d’axes d’éclairage, et les zones d’ombre. Le faisceau lumineux va alors se réfléchir dans le miroir afin d’éclairer la zone qui est observée. L’ajout d’un filtre inactinique peut être utile pour éviter la polymérisation prématurée des composites.

Le poids de l’éclairage souvent de 5g est négligeable. Par contre la présence d’un fil et d’une batterie externe est à prendre en compte. Il existe des modèles chez Orascoptic® avec batteries intégrées dans les branches, ce qui peut être intéressant si cela ne pose pas un problème de poids sur les oreilles.

La qualité des loupes :

Les loupes d’importation chinoise à bas prix, posent un réel problème d’aberrations chromatiques (Fig. 5), et de distorsion de l’image (Fig. 6). Le grossissement mesuré est aussi inférieur au grossissement réel, ce qui donne une fausse impression de champ large. Ces aberrations chromatiques vont donner un contour de champ gris, bien visible sur la périphérie. Il existe des verres « achromatiques » qui corrigent le bleu, le vert et le rouge. Zeiss® propose des verres « apochromatiques » qui corrigent toutes les couleurs sur leurs loupes Galiléennes en Flip-up. Certaines marques sont avec un traitement de surface qui augmente la luminosité et un traitement anti reflet.

Conclusion :

Les loupes vont permettre d’améliorer la précision de votre travail mais aucunement votre ergonomie si vous ne remontez pas votre patient vers vos yeux. Votre position est conditionnée par l’emplacement de ce que vous regardez. Que vous ayez un grossissement ou pas, si la tête de votre patient est sur vos genoux vous serez obligés d’orienter les yeux et la tête vers le bas. Donc remontez votre patient à 30cmde vos yeux et faites votre choix parmi toutes les marques proposées. Ne cédez pas à la tentation du prix des loupes standard qui ne permettent aucun réglage, alors qu’il faut absolument qu’elles soient réalisées sur mesure !

Angle d’inclinaison, distance focale, distance inter pupillaire, correction optique, feront des loupes un outil personnalisé dont vous ne pourrez plus vous passer !

Note de la Rédaction : article publié dans le journal Dental Tribune édition française 2016/5

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