DT News - France - Zéro émission nette en dentisterie – objectif réalisable ou greenwashing ?

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Les puits de carbone naturels, tels que les océans et les forêts, peinent à éliminer de l'atmosphère ne serait-ce qu'un tiers des émissions mondiales de carbone, et les experts affirment que les professionnels de la santé doivent se faire les avocats du changement. (Photo : Ivan Marc/Shutterstock)

LEIPZIG, Allemagne : L’expression « net zéro » (ou zéro émission nette) est devenue l’un des mots à la mode dans le contexte de la crise climatique, et les experts considèrent cette stratégie de réduction des émissions comme la norme actuelle par excellence en matière de pratiques commerciales durables. Les fabricants de produits dentaires ont vanté les mérites de l’engagement net zéro, et l’on s’efforce de décarboner les services de soins bucco-dentaires et les cliniques individuelles. Un engagement zéro émission nette représente-t-il un jeu à somme nulle, ou est-il bénéfique pour les entreprises dentaires et les professionnels des soins dentaires qu’elles servent ?

Le concept de net zéro diffère de celui de « neutralité carbone ». Il prend en compte toutes les émissions attribuables à une entité, y compris celles résultant de la chaîne d'approvisionnement et d'autres processus, qui se déroulent en dehors des opérations directes. La neutralité carbone ne peut concerner que les émissions de dioxyde de carbone provenant d'opérations commerciales spécifiques. D'une part, devenir neutre en carbone signifie trouver un équilibre entre l'émission de carbone et son absorption dans l'atmosphère par des puits de carbone – des systèmes naturels, tels que les océans et les forêts, qui absorbent plus de carbone qu'ils n'en émettent. Les émissions produites dans un secteur peuvent être compensées par une réduction dans un autre secteur, et il existe des certifications et des normes internationales, pour vérifier les affirmations de neutralité carbone. Les objectifs net zéro des entreprises, quant à eux, peuvent être soutenus par le programme Business Ambition for 1,5°C et sa norme Corporate Net-Zero Standard, qui exigent des entreprises qu'elles prennent des engagements holistiques à long terme, conformes aux dernières données scientifiques sur le climat, et à l'accord de Paris de 2015. Les pollueurs qui s'engagent dans ce programme sont tenus de décarboner activement et substantiellement, l'ensemble de leur chaîne de valeur, et de compenser toutes les émissions restantes. L'initiative Science Based Targets (SBTi), qui régit le système, n'autorise pas les entreprises à revendiquer la zéro émission nette, tant qu'elles ne se sont pas engagées à atteindre un objectif net zéro à long terme.

Henry Schein, le géant américain du secteur de la santé dont l'activité dentaire est l'une des plus importantes au monde, est la seule grande entreprise dentaire à s'être engagée à respecter la norme Corporate Net-Zero Standard. Henry Schein a adhéré au programme « Business Ambition for 1.5° C » à la fin de l'année 2021, date à partir de laquelle l'entreprise dispose de 24 mois, pour fixer des objectifs à court et à long terme en matière de zéro émission nette, qui seront examinés par le SBTi. Les objectifs d'Henry Schein doivent tenir compte de ses émissions de portée 3, c'est-à-dire celles que l'entreprise ne produit pas mais dont elle est indirectement responsable, et doivent viser des réductions substantielles du dioxyde de carbone, et de zéro émission nette, d'ici 2050 au plus tard.

« Nous reconnaissons qu'avec notre empreinte environnementale globale et notre position unique au sein d'un écosystème de relations avec les fournisseurs et les partenaires commerciaux, nous sommes particulièrement bien placés pour être un moteur de la durabilité, dans la chaîne d'approvisionnement des soins de santé », a déclaré Stanley M. Bergman, p-dg et président du conseil d'administration d'Henry Schein, dans un communiqué de presse publié à cette période.

Sur plus de 4 800 sociétés qui ont adhéré à l'initiative, 2 538 se sont fixées des objectifs scientifiques et 1 779 se sont engagées à atteindre un niveau net zéro.

Align Technology, dont l'activité principale est la fabrication et la distribution mondiale d'aligneurs Clear Aligner, indique sur son site web qu'elle investit dans des bâtiments économes en énergie, et dans le transport de ses employés, afin de réduire ses émissions. Jusqu'à présent, Align ne fournit pas de données sur ses émissions, ni de plans concrets pour les réduire.

Dans son rapport de durabilité 2021, Envista Holdings a quantifié ses émissions opérationnelles (portée 1 et portée 2) et a déclaré qu'elle avait l'intention d'évaluer et d'examiner ses émissions de portée 3. Envista, qui a été scindée en tant que nouvelle société dentaire en 2019, a déclaré que l'identification d'un objectif environnemental, tel que la norme net zéro, était un domaine prioritaire pour la jeune entreprise. Dentsply Sirona a également annoncé en 2021 son ambition d'atteindre des émissions de carbone net zéro (portées 1-3) d'ici 2050. L'entreprise a déclaré que son objectif était « conforme aux normes mondialement reconnues », mais n'a pas précisé quelles étaient ces normes, ni si son engagement était contraignant.

Une impulsion en faveur du net zéro dans les cliniques et les services de santé

Pour atteindre l'objectif de net zéro émission d'ici à 2040, le National Health Service britannique devra réduire de 80 % les émissions non cliniques. (Photo : John Gomez/Shutterstock)

Les cliniques dentaires et les services de santé qui fournissent des soins bucco-dentaires s'efforcent d'atteindre un niveau de zéro émission nette. Le gouvernement britannique, par exemple, a adopté l'année dernière une loi, visant à mettre en place un service national de santé (NHS) à zéro émission, y compris pour les soins dentaires. La vision ambitieuse d'un NHS net zéro d'ici 2040 comprend une réduction de 80 % des émissions des champs d'application 1 et 2 d'ici 2032, et une réduction des émissions du champ d'application 3 du même chiffre d'ici 2039. « Notre intention pour ces objectifs est d'élaborer la déclaration la plus ambitieuse et la plus crédible de tous les systèmes de santé nationaux du monde, pour atteindre l'objectif de zéro émission nette », a déclaré le service de santé dans un rapport.

Un article à paraître dans l'Australian Journal of General Practice, partagé avec Dental Tribune International (DTI), montre que les émissions non cliniques représentent environ 40 % des émissions totales des cabinets de médecine générale au Royaume-Uni, et que les 60 % restants sont imputables à la composante clinique. Les principales sources d'émissions non cliniques sont les déplacements du personnel (22,8 %), les services commerciaux (22,5 %) et les déplacements des patients (18,4 %).

Le Dr Richard Yin, co-auteur de l'article et président pour l'Australie occidentale de l'organisation Doctors for the Environment Australia (DEA), a déclaré à DTI : « L'énergie et les transports étant une composante importante des émissions non cliniques, du moins en Australie, grâce à nos vastes ressources solaires et éoliennes, et à notre transition vers des véhicules électriques alimentés par des énergies renouvelables, je pense que les émissions non cliniques peuvent raisonnablement être réduites de manière substantielle. La composante clinique, cependant, est largement attribuable aux produits pharmaceutiques et aux achats. En tant que docteurs, nous pouvons minimiser les traitements inutiles et nous concentrer sur les options de traitement à faible émission de carbone, mais il sera nécessaire de faire pression sur les chaînes d'approvisionnement, pour qu'elles se décarbonent. C'est une chose pour laquelle nous pouvons plaider, mais qui est également hors de notre contrôle ».

« La raison la plus importante pour que la profession prenne des mesures et participe au mouvement climatique, est de se faire l'avocat du changement » - Dr Richard Yin, Doctors for the Environment Australia (DEA- Médecins pour l'environnement Australie)

La DEA plaide en faveur d'un objectif net zéro pour le secteur australien des soins de santé, et le Dr Yin a déclaré que l'industrie avait la responsabilité urgente de décarboner. « La raison la plus importante pour que la profession prenne des mesures et participe au mouvement climatique, est de se faire l'avocat du changement », a-t-il souligné. En ce qui concerne les objectifs net zéro pour les cliniques individuelles, le Dr Yin a déclaré : « La question est de définir l'empreinte carbone d'un cabinet dentaire et de comprendre ensuite comment la réduire. » Pour ce faire, les propriétaires de cabinets dentaires peuvent faire appel à des services de conseil, tels que Net Zero Dentistry, basé à Glasgow, qui commercialise un service de décarbonation et de compensation pour les propriétaires de cabinets dentaires.

Adoptée et utilisée avec enthousiasme, la force du net zéro en tant qu'outil pour rendre les soins dentaires et la fabrication plus durables, réside dans le fait qu'elle se concentre sur la réduction proactive des émissions, plutôt que sur leur compensation, et qu'elle est soutenue par la recherche sur le climat ; cependant, les risques de greenwashing et de compensations carbone inefficaces demeurent. Une enquête menée par les médias The Guardian et Die Zeit, ainsi que par l'organisation de journalisme d'investigation à but non lucratif SourceMaterial, a révélé en janvier que la plupart des crédits carbone forestiers délivrés par le principal certificateur Verra, n'avaient aucune valeur. La protection des forêts tropicales représente 40 % des crédits carbone vendus par Verra. Les journalistes ont découvert que Verra avait surestimé les menaces pesant sur ses projets forestiers, et vendu des crédits carbone qui n'avaient pas permis de réduire la déforestation. Verra, dont le siège est à Washington DC et qui compte parmi ses clients Shell, easyJet, et Pearl Jam, a contesté ces allégations.

Le Dr Yin a déclaré que les compensations carbones étaient problématiques et qu'on ne pouvait pas compter sur eux pour la décarbonation. « Il n'y a aucune garantie qu'un arbre planté aujourd'hui existera encore dans 30 ans. Le délai nécessaire à la décarbonation pour éviter les pires conséquences climatiques, exige que des mesures soient prises d'urgence, au cours de cette décennie. Néanmoins, l'achat de crédits carbone donne une place au carbone dans un bilan, ce qui contribue à le maintenir comme un coût qui doit être pris en compte », a déclaré le Dr Yin.

Actuellement, aucun puits de carbone artificiel n'est capable d'éliminer le dioxyde de carbone de l'atmosphère à l'échelle nécessaire, pour atteindre les objectifs climatiques, et même les puits naturels peinent à suivre le rythme de la croissance économique perpétuelle. Selon la Commission européenne, les puits de carbone mondiaux éliminent jusqu'à 11 Gt de dioxyde de carbone de l'atmosphère chaque année, alors que les émissions mondiales de carbone, même en 2020 lorsque les émissions mondiales ont diminué en raison de la pandémie de SARS-CoV-2, ont totalisé 36 Gt.

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