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Interview à l’EAO : « L'erreur humaine est inévitable »

Pinsky est un chirurgien-dentiste et pilote d'avion de ligne. (DTI/Photo : Mark Pinsky)
Daniel Zimmermann

Daniel Zimmermann

ven. 18 octobre 2013

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En tant que commandant de bord d’un A330, le Dr Mark Pinsky, de Ann Arbor, Michigan, États-Unis, en sait beaucoup sur les erreurs et leurs conséquences possibles. Bien que le pilotage d’un avion et l'exécution des procédures dentaires nécessitent des compétences complètement différentes, ils ont un terrain d'entente quand il s'agit de l'application de ces compétences, dit-il. Dental Tribune ONLINE a eu l'occasion de parler avec l'ancien chirurgien-dentiste pendant le congrès scientifique annuel de l'EAO (Association européenne pour l’ostéointégration) à Dublin, sur les sources d'erreur dans la dentisterie implantaire et les outils actuellement disponibles pour minimiser les risques.

Dental Tribune ONLINE : Chaque chirurgien-dentiste plaçant des implants est confronté à la possibilité d'erreurs à un moment donné. Quelles sont les plus communes et à quelle étape procédurale s'observent-elles habituellement ?
Dr Mark Pinsky : Plusieurs études ont démontré que placer des implants dentaires est sans danger, pratique et efficace. C'est un outil très important en dentisterie restauratrice. Ce qui est intéressant est que cette question amène à penser : « Si je fais quelque chose de cette façon et pas d’une autre, je vais avoir résolu le problème. » Quand cette pensée est pour le long terme, les erreurs doivent être considérées comme des menaces. Le point commun associé à toutes les erreurs est qu’après analyse, il y a toujours un être humain qui leur est associé.

La réalité est que des erreurs peuvent survenir à n'importe quelle étape de l'implantation. Elles varient en fonction du degré de sévérité et de l'effet sur la survie à long terme, mais c’est dans l’étude des éléments qui composent le domaine des facteurs humains liés à l'erreur, que les risques seront limités à un stade où les conséquences à long terme d’une erreur, sont moins importantes ou atténuées.

Une étude américaine en 2012, a suggéré que les erreurs sont plus susceptibles de se produire lorsque les cliniciens ont moins de cinq ans d'expérience clinique. Quelle est la pertinence des erreurs de procédure opérationnelle par rapport à d'autres erreurs ?
Il y a effectivement un certain nombre d'études sur l'erreur, et l'expérience devrait certainement être considérée comme un composant. Cependant, il y a ici un paradoxe. L'inexpérience peut signifier que l'opérateur ne sait pas ce qu'il fait, ou bien qu’il ralentit et est plus prudent. En revanche, l'opérateur expérimenté peut savoir ce qu'il fait, mais être plus sujet à certaines erreurs car il est tellement ancré dans ses comportements qu'il ne reconnaît pas l'erreur.

L'erreur humaine est inévitable. Aucune somme d'expérience ou d’absence de celle-ci ne peut changer ce fait.

Estimez-vous que les comportements sont un facteur de risque important ?
Je préfère utiliser le terme « facteurs humains ». Il faut identifier les comportements individuels, bons et mauvais, pour pouvoir examiner une procédure et ses composantes individuelles, et identifier les zones à risque. En outre, il faut considérer l'équipe chirurgicale et sa dynamique, la décomposer en petites unités, pour aider à atténuer le risque potentiel.

Il s'agit d'une situation très dynamique, elle n'est jamais statique. On commence par la recherche prospective et par identifier les menaces potentielles. On modifie ensuite le modèle de comportement associé. Ensuite, on regarde rétrospectivement pour voir si le changement a été efficace. Pendant ce temps, le processus se poursuit. Il s'agit de la mise en place de schémas comportementaux fondamentaux, qui permettent d’utiliser une méthode sans danger, pour introduire de nouveaux matériaux ou procédés.

La maladie parodontale et le manque de structure osseuse saine sont quelques-uns des facteurs de risque les plus importants dans l'échec de l'implant. Sont-ils toujours négligés à votre avis, et que savons-nous maintenant sur leur importance ?
La maladie parodontale et le manque de structure osseuse saine sont en effet importants pour prédire la réussite de l'implant. Il y a d'autres facteurs de risque potentiels dont il faut toujours être conscient. On peut les considérer comme étant un facteur déterminé au niveau d’un groupe et non d’un individu. Par exemple, un énoncé des facteurs de risque typiques prendrait la forme suivante : quand nous avons examiné X nombre de patients auxquels nous avons fait Y, nous avons trouvé Z. Le chirurgien peut alors prendre des décisions, armé de cette connaissance.

L’idée intéressante lorsque l’on songe aux facteurs de risque, c'est qu'il y a une incertitude implicite associée à ce terme. Le risque peut exister sans incertitude. Il appartient à chaque chirurgien de s'assurer que les risques sont identifiés et quantifiés avant une intervention, puis tous les efforts sont faits pour réduire ce risque au cours d'une procédure. Cela permettra d'assurer un résultat plus prévisible.

Faut-il généralement se concentrer davantage sur la prévention de ces risques ?
Jusqu'à présent, il est évident que la prévention est la clé, car elle minimise l'exposition à long terme pour le risque associé à des procédures plus importantes. La logique est la suivante : si vous empêchez la maladie parodontale, vous pourrez prévenir la perte osseuse, ce qui permettra d'éviter la perte d'une dent, ce qui permettra d'éviter la nécessité d'un implant, ce qui va très probablement, mais pas obligatoirement, fonctionner. Cela ne changera jamais. Plus on aura de données à long terme, plus il sera facile d'intégrer ces informations dans les premières phases d'un programme de prévention bien pensé, avant la nécessité d'un traitement. Cela identifie clairement le besoin de données postopératoires, afin de prendre des décisions préopératoires, pour déterminer le risque. La seule façon de déterminer le succès à long terme d’une manière efficace est d’identifier quels composants d’une procédure sont efficaces et ceux qui ne le sont pas. La collecte de données valides à long terme est la prochaine étape logique dans le processus de minimisation de l'erreur.

Une prévention réussie dépend, dans une large mesure, de meilleurs diagnostics. Les chirurgiens-dentistes se tiennent-ils informés dans ce domaine, et quels sont les outils disponibles pour éviter les erreurs potentielles, avant même le début du traitement ?
Je ne suis d'accord que partiellement avec cette affirmation. De meilleurs diagnostics sont tout simplement un groupe de meilleurs outils d'information, qui présentent certains aspects d'une information spécifique, mieux que ce n’était le cas avant pour le chirurgien-dentiste. Une prévention efficace dépend vraiment de ce que le praticien fait de cette information. D’une meilleure information ne résultera qu’une meilleure prévention, s'il y a un système en place pour collecter les informations et assurer leur utilisation à chaque fois. Combien de personnes qui liront cet article, disposent d'un tiroir quelque part dans leur bureau, plein de nouveaux outils qu’ils ont essayés mais dont ils ne se servent plus ?

La planification de l'implant avec le cone beam est devenue très populaire et un nombre croissant de chirurgiens-dentistes y ont accès. Considérez-vous que la technologie soit un tel système ?
Le cone beam fournit l'information. Certaines des informations corroborent ce qu'un chirurgien peut déterminer par les méthodes conventionnelles, alors que certaines sont uniques au cone beam. Le principe ALARA (« le plus bas que l'on puisse raisonnablement atteindre ») exige que le cone beam soit utilisé, lorsque l'information obtenue de l'exposition aux rayonnements l’emporte sur le risque.

Le potentiel d'information à partir d'un scan est vraiment remarquable. Puisque que le cone beam a un risque qui lui est associé, il doit être intégré dans la stratégie globale de gestion des risques. Ses avantages potentiels résident dans l’utilisation correcte de la grande quantité d'information d'une source unique, qu’il peut fournir. Le risque est que le cone beam devienne la norme par défaut pour chaque question, sans examen approprié à chaque cas spécifique.

Les protocoles d'évaluation des risques sont de plus en plus importants dans la dentisterie générale, pour identifier et gérer les maladies bucco-dentaires comme les caries. Est-ce-que les mêmes principes devraient également s'appliquer à l'implantologie dentaire ?

Absolument. C'est grâce à la détermination et à l'atténuation ultérieure du risque, grâce à des stratégies robustes de gestion des risques, que les taux de réussite vont s'améliorer. Les protocoles d'évaluation des risques, comme le cone beam, sont un outil dans le sac à malices que le chirurgien utilise pour réduire la variabilité, et d’obtenir un résultat plus prévisible.

Lorsque nous parlons de protocoles d'évaluation des risques, il y a vraiment un facteur de risque qui est plus important que toute autre à l'égard de l'implantologie dentaire. C'est la façon dont l'opérateur se sent au moment où il pose l'implant. Ceci est étroitement lié à la notion de conscience de la situation. Même si cela peut sembler un peu abstrait, c'est par la perte de conscience de la situation, que l'on ne reconnaitra pas ou réagira de manière inappropriée, à tous les autres facteurs de risque. Les exemples incluent, un opérateur qui est pressé, ou fatigué, ou s’inquiète du prochain cas à traiter, ou tout autre élément qui le distrait de la procédure actuelle.

Comment la perte de conscience de la situation peut-elle être minimisée ?
Dans un article paru dans le Journal of the American Dental Association, dont j'étais l'auteur principal, nous avons présenté une liste de contrôle dentaire universelle. Aucun pilote professionnel ne ferait jamais décoller ou atterrir un avion sans l'aide d'une liste de contrôle. L'Organisation mondiale de la santé a développé une liste chirurgicale pour les salles d'opération des hôpitaux. Le même principe devrait s'appliquer aussi pour la dentisterie. L'utilisation régulière d'une liste de contrôle dentaire est un bon début pour reconnaître l'aspect humain dans la dentisterie, pour chaque patient, à chaque fois. Aucune exception.

Merci beaucoup pour cette interview.

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