L’European Aligner Society (EAS) récemment tenu son sixième congrès sur l’île de Rhodes, en Grèce, proposant un programme riche en enseignements et en expertises, présenté par des spécialistes reconnus de l’orthodontie par aligneurs. Parmi les intervenants figurait le Dr Morten G. Laursen, orthodontiste, maître de conférence clinique en odontologie à l’université d’Aarhus, au Danemark, où il exerce également dans un cabinet privé. Lors du congrès, il a présenté une conférence intitulée « Le rôle des aligneurs dans le traitement de la récession gingivale », dans laquelle il a abordé l’importance du complexe dentoalvéolaire, son domaine de recherche, et il explique dans cet entretien accordé à Dental Tribune International pourquoi l’évaluation des tissus durs et mous ainsi qu’une planification adaptée du traitement sont essentielles.
Dr Laursen, en quoi le complexe dentoalvéolaire est-il pertinent dans le traitement de la récession gingivale, en particulier avec des aligneurs ?
Lors de recherches menées il y a quelques années, nous avons prélevé des échantillons dentoalvéolaires prélevés sur des cadavres et les avons scannés à l’aide de la micro-CT – une technique qui permet une visualisation extrêmement détaillée des dents et de l’os environnant. Cela nous a permis de mesurer avec précision l’épaisseur osseuse vestibulaire et linguale. Ce que nous avons constaté était frappant : dans de nombreux cas, l’os était extrêmement mince, voire absent, et nous avons fréquemment observé des déhiscences et des fenestrations, en particulier dans la région antérieure de la mandibule – et pourtant, c’est précisément dans cette zone que nous déplaçons couramment des dents lors de traitements orthodontiques. La région mandibulaire antérieure est particulièrement sujette à la récession gingivale après traitement orthodontique. On observe souvent cela avec des contentions fixes – notamment lorsqu’elles deviennent actives de manière involontaire, entraînant un déplacement radiculaire. Il ne faut pas grand-chose pour franchir la fine corticale existante, ce qui provoque une déhiscence. Une fois l’os compromis, les tissus mous sus-jacents perdent leur soutien, et une récession peut survenir. À ce stade, la dent a essentiellement perdu sa protection : l’attache et le soutien sont affectés.
Cette recherche m’a rendu très conscient des limites anatomiques, en particulier de l’ampleur des déplacements dentaires que nous pouvons envisager – et pour quels patients. Le risque varie considérablement d’un individu à l’autre. On parle souvent de déplacement dentaire à travers l’os versus avec l’os. Si le déplacement avec l’os est parfois possible, il n’est pas prévisible dans tous les cas. C’est là que le phénotypage devient essentiel.
En évaluant les biotypes tissulaires, qu’ils soient durs ou mous, nous pouvons mieux anticiper les résultats. Les patients ayant un os et un tissu gingival épais peuvent généralement tolérer des déplacements plus importants avec un risque minime. À l’inverse, chez ceux qui présentent un biotype fin, même des mouvements légers peuvent entraîner des complications. Ainsi, comprendre l’anatomie individuelle et respecter les limites biologiques est fondamental – en particulier lors de la planification d’un traitement avec des aligneurs, qui peuvent offrir des avantages en termes de forces contrôlées et progressives, mais qui n’éliminent pas les risques anatomiques sous-jacents.
Quelle est l’importance, selon vous, de l’évaluation du phénotype osseux et tissulaire du patient par les orthodontistes avant de planifier le déplacement des dents — Pensez-vous que cela fait aujourd’hui partie des pratiques standards dans la profession ?
Je considère que l’attention portée au diagnostic est absolument essentielle. Si l’imagerie CBCT peut être très utile dans certains cas, elle n’est pas toujours nécessaire. Beaucoup d’informations peuvent encore être obtenues par un examen clinique. Une simple palpation et inspection des tissus mous nous donnent des indications précieuses sur l’anatomie osseuse sous-jacente.
Parfois, l’os alvéolaire est en réalité plus étroit que la racine, ce qui rend certains déplacements dentaires particulièrement risqués. C’est pourquoi il est crucial de rester conscient de ces limites anatomiques dans notre pratique quotidienne — car les conséquences d’un oubli peuvent n’apparaître que plusieurs années plus tard. On peut initialement avoir une déhiscence osseuse encore recouverte par les tissus mous, mais avec le temps, ces tissus peuvent se rétracter et révéler le problème sous-jacent.
Il est essentiel d’évaluer le type d’environnement biologique dans lequel vous intervenez. Le patient présente-t-il un biotype épais, où le risque de complications est minimal ? Ou bien un phénotype fin, où l’os et les tissus mous sont fragiles et susceptibles d’être endommagés ? Dans tous les cas, un diagnostic précis est primordial.
À partir de là, il faut examiner attentivement votre plan de traitement — en particulier, la direction et l’intensité des forces appliquées lors du déplacement dentaire. Si vous envisagez de déplacer les dents vers la face labiale dans la région antérieure ou significativement vers la face linguale dans la région postérieure, vous risquez de les sortir de l’enveloppe alvéolaire. Dans ce cas, il peut être nécessaire de repenser complètement la biomécanique afin de ne pas compromettre la stabilité parodontale à long terme.
Lors de votre conférence, vous avez souligné l’importance de la perception visuelle et du toucher du clinicien. dans les évaluations. Dans cette ère numérique, comment conciliez-vous l’intuition clinique avec les outils digitaux pour suivre l’évolution du traitement et la position des racines ?
Avant de commencer le traitement, je palpe toujours les racines. Si les racines sont bien positionnées à l’intérieur de l’os alvéolaire, vous ne les sentirez pas — ce qui est rassurant. Mais si vous détectez une saillie radiculaire à travers l’os, surtout lorsque vous prévoyez des déplacements antérieurs, il est important de surveiller attentivement ces dents tout au long du traitement. De nombreuses informations peuvent être obtenues par inspection visuelle et palpation.
Bien sûr, l’examen clinique ne révèle pas tout — ce qui alimente le débat permanent autour de l’utilisation appropriée du CBCT. Par exemple, si une malocclusion est causée par un fil de contention collé qui a déplacé les dents de manière significative en dehors de l’enveloppe alvéolaire, et qu’il y a un doute quant au pronostic de ces dents, alors je considérerais sans hésiter un examen CBCT. Dans ce type de situations — où la perte dentaire est une éventualité ou lorsque l’on évalue la possibilité de conserver une dent — j’utilise régulièrement le CBCT.
Cependant, il est important de comprendre les limites du CBCT. Si l’on cherche simplement à déterminer s’il existe une fine couche d’os recouvrant une racine, la résolution du CBCT n’est pas suffisante pour visualiser ce niveau de détail avec précision. Au Danemark, nous ne pouvons pas réaliser de CBCT systématiquement pour tous les patients ; son utilisation doit répondre à des indications cliniques spécifiques.
Ainsi, bien que les outils numériques soient précieux, ils ne remplacent pas l’évaluation tactile et visuelle du clinicien. Nos yeux et nos mains demeurent parmi les meilleurs outils diagnostiques dont nous disposons — surtout lorsqu’ils sont utilisés avec discernement et expérience.
Vous avez souligné que les incisives mandibulaires sont particulièrement sujettes à la récession gingivale en raison de la finesse de l’os qui les entoure. Comment les cliniciens peuvent-ils évaluer et gérer ce risque lors de la planification d’un traitement par aligneurs ?
La première étape consiste simplement à observer, puis à palper. Je pense que c’est parfois ce qui est négligé. Lorsqu’on cherche quelque chose de manière intentionnelle, on commence à le reconnaître plus fréquemment. La récession gingivale, en particulier, est un problème réel et courant, mais elle peut passer inaperçue si l’on ne prend pas consciemment le temps de l’évaluer.
J’ai une anecdote à ce sujet, racontée par une parodontiste avec qui je travaille en étroite collaboration. Elle donnait une formation à un groupe d’orthodontistes sur les techniques chirurgicales de recouvrement des récessions gingivales. Quelques mois plus tard, elle a croisé l’un des participants, qui lui a dit : « C’est étrange : depuis votre cours, nous voyons beaucoup plus de récessions ! » Bien sûr, ce n’est pas que les cas avaient augmenté, mais simplement que les orthodontistes avaient commencé à regarder plus attentivement—et désormais, ils les voyaient.
Cela met en lumière un point essentiel : la prise de conscience modifie la perception. En nous formant à évaluer systématiquement la marge gingivale, la proéminence radiculaire et le biotype tissulaire—en particulier dans les zones à haut risque comme les incisives mandibulaires—nous avons davantage de chances d’identifier les risques de façon précoce et d’adapter nos plans de traitement en conséquence, notamment lorsqu’il s’agit de traitements par aligneurs.
En termes de biomécanique, vous avez mentionné dans votre conférence que les aligneurs peuvent appliquer un couple de forces pour guider le mouvement radiculaire. Pourriez-vous expliquer en quoi cela permet de réduire les effets secondaires indésirables, comparativement aux appareils fixes ?
Le concept de couple de forces — deux forces égales et opposées appliquées pour produire une rotation contrôlée ou un mouvement radiculaire — peut être utilisé aussi bien avec des appareils fixes qu’avec des aligneurs. Cependant, la différence clé réside dans la précision avec laquelle nous pouvons contrôler ces forces et gérer les effets secondaires, notamment dans des situations anatomiquement délicates.
Avec les appareils fixes, notamment dans les cas où l’os alvéolaire est très fin, les tissus gingivaux fragiles, et les racines partiellement déplacées en dehors de l’enveloppe osseuse alvéolaire — comme chez les patients présentant un syndrome d’activation involontaire de la contention fixe (ou « wire syndrome ») avec un risque ou une présence de récession — le contrôle biomécanique devient plus complexe. Lorsqu’on utilise un arc continu sur plusieurs brackets, toute activation engendre une cascade de réactions sur l’ensemble de l’arcade. Cela rend difficile d’isoler et de contrôler le mouvement des racines individuelles, sauf si le système de forces est parfaitement cohérent d’un point de vue biomécanique — ce qui est rarement le cas en pratique clinique.
Dans ces situations, les « aller-retour » — déplacer une dent dans la mauvaise direction avant de la ramener à sa place — peuvent être délétères. Un os fin ne tolère pas ce type d’excursions inutiles. C’est là que la mécanique segmentaire intervient. En évitant un fil continu et en utilisant plutôt des brackets isolés et des sections de fil, on peut traiter quelques dents à la fois avec un contrôle plus précis. Cette méthode est efficace, mais prend du temps. Elle nécessite une planification rigoureuse, un cintrage précis des fils et un suivi attentif tout au long du traitement.
En ce qui concerne les aligneurs, mon expérience montre que nous pouvons souvent aborder ces mouvements complexes de manière plus efficace. Parce que l’aligneur englobe entièrement la dent — incluant à la fois les marges cervicales vestibulaires et linguales — il offre, dans une certaine mesure, une forme d’ancrage et de contention intégrés. Cependant, il faut reconnaître que le matériau est flexible ; par conséquent, il convient de prévoir un mouvement compensatoire en torque des dents voisines pour un ancrage supplémentaire. Cela nous permet de mieux gérer le positionnement radiculaire et de réduire les mouvements réciproques indésirables. Par exemple, lorsqu’on déplace une dent dans une direction, on peut empêcher plus efficacement les dents adjacentes de réagir de manière non souhaitée, ce qui est beaucoup plus difficile à réaliser avec des appareils fixes. En somme, les aligneurs offrent un avantage unique pour contrôler les couples de forces appliqués au torque radiculaire de façon plus prévisible, particulièrement dans les cas où il faut être attentif aux limites biologiques.
Vous avez parlé de l’importance du diagnostic et de la planification lorsqu’il s’agit de traiter un biotype gingival fin. Quels outils diagnostiques ou signes cliniques privilégiez-vous pour décider si la thérapie par aligneurs est appropriée ou non ?
Lors du traitement de patients dont les racines sont partiellement déplacées en dehors de l’os alvéolaire et présentant un phénotype gingival fin — notamment dans les cas impliquant une récession ou à risque de récession — je privilégie généralement la thérapie par aligneurs. En fait, je choisis presque toujours les aligneurs dans ces situations.
Ces cas sont souvent des retraitements, et les patients sont généralement des adultes qui apprécient le confort et l’esthétique des aligneurs. Au-delà de la préférence du patient, les aligneurs offrent un excellent contrôle biomécanique. L’un des principaux avantages est la capacité à minimiser les effets secondaires indésirables, ce qui est particulièrement important chez les patients présentant des tissus, durs et mous, fins.
Du point de vue clinique, les aligneurs permettent des mouvements précis et progressifs ainsi qu’un meilleur contrôle des vecteurs de force — ce qui est particulièrement important lorsqu’il s’agit de déplacer des dents dans des environnements biologiquement contraints. D’après mon expérience, la thérapie par aligneurs s’est révélée être un outil efficace et assez prévisible pour gérer ces cas, à condition de planifier individuellement et soigneusement les mouvements dentaires et la biomécanique des aligneurs. C’est pourquoi je recommande systématiquement les aligneurs pour traiter les dents déplacées présentant une récession dans un phénotype gingival délicat.
Le Dr Domingo Martín a affirmé lors de sa présentation que 70 % des premières consultations en orthodontie concernent des retraitements dus à un mauvais diagnostic. Avez-vous constaté que c’est effectivement le cas ?
Nous voyons effectivement un certain nombre de cas de retraitement en pratique, mais cela ne représente pas la majorité de nos patients.
D’après mon expérience, il est essentiel de considérer les appareils fixes et les aligneurs comme des outils complémentaires. J’utilise régulièrement les deux, en fonction des besoins spécifiques de chaque patient. Certains cas se prêtent mieux à un traitement exclusivement par aligneurs, d’autres nécessitent des appareils fixes, et bien souvent, je combine les deux approches : en commençant par un traitement avec des appareils fixes, puis en terminant avec des aligneurs, ou l’inverse. Cette stratégie s’applique également aux cas orthognathiques. En fin de compte, l’objectif est de choisir la modalité de traitement la plus adaptée pour obtenir les meilleurs résultats possibles pour chaque patient.
Lors d’un congrès consacré aux aligneurs, il est particulièrement important de reconnaître que les appareils fixes conservent un rôle essentiel en orthodontie. Il semble, d’après ce que vous venez de dire, que vous partagiez ce point de vue ?
Absolument. Je pense qu’il est essentiel de comprendre dans quels cas un outil est plus adapté qu’un autre. De nombreux patients viennent en consultation en demandant des aligneurs, ce qui est compréhensible. Cependant, il existe des situations dans lesquelles les aligneurs ne sont tout simplement pas le meilleur choix pour obtenir le résultat souhaité.
J’utilise souvent une analogie pour aider les patients à comprendre : si vous deviez traverser un désert, choisiriez-vous une Ferrari ou un 4×4 ? La plupart opteraient pour le 4×4, car c’est l’outil adapté à ce type de terrain. En orthodontie, c’est pareil : il s’agit de choisir la bonne option en fonction des défis thérapeutiques que nous rencontrons. Mon objectif est toujours de recommander l’outil le plus approprié — qu’il s’agisse d’aligneurs, d’appareils fixes ou d’une combinaison des deux — pour obtenir les résultats les plus efficaces et les plus prévisibles.
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