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Ce confrère ne nous joue pas du pipeau!

Le dr Pierre Dana, chirurgien-dentiste, s'est spécialisé dans le traitement des instrumentistes à vent pour lesquels toute modification de la bouche peut entrainer de gros changements dans le jeu instrumental. (Photo : Shutterstock/Ekaphon Maneerchoor)
Dental Tribune International

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ven. 2 juin 2017

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Pierre Dana est surnommé le « luthier des instrumentistes » ! Pourquoi ? C’est ce que nous allons découvrir ou comment un chirurgien dentiste est devenu LA référence chez trois mille musiciens devenus ses patients …

Marc Revise : Ma toute première question n’a rien d’original, mais dis-nous où tout a commencé ; es-tu toi-même musicien ?

Pierre Dana : Plutôt mélomane ! Pour ma thèse de 3ème cycle (et onze années de recherches) je me suis arrêté sur une profession qui utilise sa bouche pour travailler. Pas uniquement parler ou sourire, mais utiliser physiquement la cavité buccale pour produire une action, un travail. Il s’agissait des joueurs d’instruments à vent. Je me suis impliqué dans la compréhension et l’analyse des rapports entre la cavité buccale et les instruments à vent. Je veux rendre hommage au professeur Albert Jeanmonod et au professeur Françoise Darmon qui ont accepté le sujet et m’ont soutenu, sans oublier le Dr Arcier de Médecine des Arts.

Et tu as étudié l’embouchure, réalisé des modèles, des moulages, apporté des corrections pour une meilleure adaptation à la morphologie du musicien...

Oui, j’ai découvert que le monde musical est peuplé de personnes merveilleuses. Toutes les personnes contactées pour cette thèse, musiciens, luthiers, réparateurs d’instruments, conservateurs de musée, orchestres, rabbins, professeurs de musique m’ont apporté leurs concours avec beaucoup de gentillesse et de patience. Pour en revenir à la question, il a fallu défricher un nouveau terrain et inventer des outils qui permettraient de le faire.

Nous savons tous que la cavité buccale est un enjeu important pour parler, rire, sourire, embrasser, elle joue un rôle important dans la séduction, la sexualité, l’alimentation, mais en quoi est-ce si différent pour le musicien ?

Pour le musicien, c’est aussi un outil de travail, un élément qui lui assure sa subsistance (musicien professionnel). De même que le peintre capte la lumière pour en faire une oeuvre d’art, le musicien modèle l’air. Au fi l du temps se créent des relations intimes entre l’embouchure instrumentale et la cavité buccale. Si un élément est altéré, il faut faire appel au luthier pour l’embouchure ; si c’est un organe de la bouche, c’est le dentiste qui doit analyser la pathologie (souvent, il s’agit des dents). La difficulté réside dans le fait qu’il faut reproduire à l’identique les éléments défectueux, car la moindre différence peut avoir une incidence catastrophique sur le jeu instrumental ! Le musicien veut et doit absolument retrouver l’état dans lequel il se trouvait avant la dégradation, et toute la difficulté réside dans le fait que cet état, sauf cas particulier, nous autres thérapeutes ne le connaissons pas.

Parce que les instrumentistes sont des artistes, ils doivent avoir une sensibilité exacerbée, comment cela infl uence-t-il ta communication avec eux ?

Le musicien est avant tout un interprète, il doit passer le plus fi dèlement possible les émotions du compositeur sur une partition, à travers ses propres émotions pour les faire ressentir à l’auditeur qui possède ses propres fi ltres émotionnels. Singulière et difficile alchimie, mais une fois que l’on a compris cela, le contact est établi et tout devient simple. Dans la pratique, ces patients ne signalent ni une douleur ni une cavité mais ils indiquent une diffi culté dans certains registres de jeu. Il m’a donc fallu apprendre leur langage et les caractéristiques des instruments.

Tes patients musiciens sont-ils exclusivement des joueurs d’instruments à vent, ou interviens- tu également chez des violonistes par exemple ?

Avec le temps, j’ai élargi mon champ d’action et je me suis rendu compte que les problèmes d’occlusion intervenaient sur le jeu instrumental de tous les instruments...

Tu t’impliques dans de nombreuses associations en rapport avec la musique, et participe à des recherches et travaux, à des symposiums et congrès pour maintenir ce pont entre dentisterie et musique, entre les dentistes et les musiciens, deux mondes qui pourraient paraître éloignés, comment résumer ton engagement, ta passion et que transmettre à tes confrères ?

Nous pouvons aider les musiciens à jouer une musique plus physiologique par une action curative lorsque cela s’avère nécessaire, mais surtout par une action préventive : modèles de référence, panoramique. Le respect de l’instrument est grand chez le musicien et il ne viendrait à personne l’idée d’utiliser un saxophone comme un pied-debiche (dont il a un peu la forme), alors, pourquoi utiliser la bouche comme un casse-noisette (superbe opéra par ailleurs) ? En jetant  des ponts entre nos deux mondes, nous établissons des relations de confi ance avec des patients particuliers qui ont très peur des interventions au niveau de la cavité buccale tant ils en connaissent les risques pour leur profession.

La trompette, premier instrument de ta réfl exion, est également un instrument primordial et symbolique dans les Écritures saintes. Est-ce une coïncidence, ou y aurait- il une transcendance, imperceptible infl uence venue de notre culture, sans pour autant qu’elle soit empreinte de mysticisme ?

Je répondrai à la question par : « qui sait ? » La trompette est effectivement décrite dans la Bible (Les Nombres, chapitre 10, versets 1 à 10). C’est un instrument sacerdotal qui utilise le souffl e, donc l’élément de vie à travers lequel est possible un dialogue. On les retrouve dans l’Apocalypse selon Saint Jean, avec les fameuses sept trompettes qui résonneront au Jugement dernier. C’est un excellent outil de communication, quelle que soit la direction vers laquelle la demande est formulée.

Je te laisse la conclusion, Pierre …

Et, si à la suite de cet article, retentissent les Trompettes de la Renommée, nul doute qu’elles ne sonnent comme celles de l’Opéra de Verdi, Aïda...

contact Pierre Dana : drpierdan@gmail.com

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