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Rapport coût-efficacité en implantologie

Pr Mauro Labanca

Pr Mauro Labanca

mer. 12 mars 2014

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De nos jours, environ 65 % des chirurgiens-dentistes italiens sont des implantologues. Rien qu’en Italie, plus d’un million d’implants sont placés chaque année. Une enquête menée à l’initiative de la société italienne d’implantologie ostéointégrée, aux fins d’évaluer la perception des implants au sein de la population italienne, a conclu que 68 % des personnes sondées opterait pour un implant, si elles nécessitaient la pose d’une dent artificielle. Un Italien sur trois a subi une chirurgie implantaire dentaire. Aucun doute que dans les prochaines années, les implants ostéointégrés seront proposés par un nombre croissant de professionnels dentaires, à une population toujours plus importante.1

Il ne faut cependant pas oublier que même le secteur dentaire a été gravement touché par la crise économique. En Italie, les répercussions de ce phénomène ont été rapportées par la presse, les associations professionnelles et le ministère de la santé. L’observatoire national de la santé dans les régions italiennes (Université catholique du Sacré Cœur – Rome) a publié un rapport, intitulé Osservasalute, qui dresse le bilan de santé de l’Italie pour l’année 2010. Selon ce document, les économies auxquelles sont contraints les Italiens, ont des retombées négatives sur les industries tant alimentaires que dentaires.2

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Le dernier président de l’association nationale italienne des chirurgiens-dentistes (Associazione Nazionale Dentisti Italiani – ANDI), le Dr Roberto Callioni, a analysé les conséquences de la crise économique et les perspectives d’avenir, lors d’une conférence tenue sous les auspices du ministère de la santé, le 29 mars 2011. Il a déclaré que, selon une enquête menée par l’ANDI en 2010, 30 % des chirurgiens-dentistes italiens ont vu leur activité diminuer en raison de la crise.3

Il a également observé une augmentation de l’offre, due au recul de l’âge de la retraite et au nombre de praticiens diplômés, ainsi qu’une diminution de la demande, liée à la réduction du pouvoir d’achat, à la baisse du taux de natalité et à une réduction de l’indice DMFT (dents cariées, manquantes et obturées).3

Les chirurgiens-dentistes doivent en outre rivaliser avec la politique à bas coût que pratiquent les pays d’Europe orientale et en conséquence, le tourisme dentaire vers ces régions (comme ce fut le cas dans les années 1990, en ce qui concerne les Pays-Bas). L’augmentation de l’offre et la réduction de la demande, ainsi que l’instabilité de ces deux facteurs, ont créé un praticien moyen, pour qui les coûts sont plus élevés et les revenus plus faibles. L’implantologie buccale est touchée, tout comme les autres disciplines de la médecine dentaire, par la situation socio-économique actuelle. Pourtant, le sentiment général penche dans le sens d’une plus forte demande du public, et d’une obligation du chirurgien-dentiste de proposer un traitement à un prix inférieur.

En Italie, on dénombre plus de 300 systèmes implantaires différents (l’estimation n’est probablement pas précise vu la difficulté de comptabiliser les copies de copies). Ces systèmes détiennent généralement la certification nécessaire à la mise sur le marché, mais seule une petite proportion est étayée par des preuves scientifiques, issues d’études bien conçues et conduites par des organismes de recherche indépendants, qui attestent leur efficacité clinique, surtout sur le long terme et grâce à un suivi approprié. Ce sont toutes ces considérations qui, avec le manque de valeurs de référence concernant la qualité, ont conduit la société italienne d’implantologie ostéointégrée, à organiser le forum de la qualité en implantologie, tenu à Vérone entre le 15 et le 17 novembre 2008, et regroupant un grand nombre de spécialistes qui ont analysé les divers aspects qualitatifs en implantologie.

Le choix par le professionnel d’un système implantaire adapté à la demande, est vivement ressenti comme une optimisation des coûts, lorsque l’on cherche à augmenter les profits sans pour autant affecter la qualité du travail fourni. Pierluigi La Porta l’a parfaitement décrit dans le cadre du forum de la qualité en implantologie.4

La responsabilité professionnelle requiert de l’homme de métier, qu’il maîtrise l'ensemble des facteurs de production, en déployant tous les moyens utiles pour mesurer la qualité de son travail, les résultats qui en découlent, et les instruments utilisés pour atteindre l’objectif visé. De plus, l’asymétrie des informations qui caractérisent la relation médecin-patient est bien connue dans le monde médical, où les patients s’en remettent aux décisions du prestataire de soin, pour résoudre leur problème de santé. Ce transfert de responsabilité dénote essentiellement l’incapacité du patient de décider de ce qui est réellement bon de faire dans cette situation, même s’il a été bien informé. Ses attentes résident dans la solution du problème et il ne prête que rarement attention à la manière de le résoudre, ou aux moyens utilisés pour le résoudre, si bien que le professionnel est l’unique responsable. La jurisprudence stipule que le médecin a la responsabilité « d’agir en bon père de famille » lorsqu’il est le seul à décider pour son patient. Il lui faut donc être certain que la qualite de ses résultats devienne une condition incontournable de ses actes. Lorsque les professionnels commencent à remettre en cause cette qualité, on se retrouve alors confronté à un changement culturel réel et profond.

À ce tableau pourrait encore s’ajouter la question : « Pour quelle raison un patient chercherait-il à se faire traiter dans un centre dentaire ? »

« Le chirurgien-dentiste ? un mécanicien qui a changé les pièces de votre voiture, mais n’étant pas un technicien, vous ne savez jamais si ça grippe ou pas. »

C’est la réponse qu’a donné une personne interrogée par le psychologue et professeur de marketing et communication bien connu, Alberto Crescentini, pour décrire la fonction du chirurgien-dentiste.5 Le patient ordinaire estime qu’il lui est difficile d’évaluer la qualité d’un service médical d’un point de vue technique, car il n’a simplement pas les capacités ou les compétences pour le faire. Il nous incombe donc de ne pas le tromper, et d’agir dans le respect de la science et de nos connaissances. Dans cet esprit, nous devons déterminer les économies éventuellement réalisables dans la prise en charge des procédures implantaires, et évaluer le rapport coût-efficacité d’un implant meilleur marché. Pour citer Charles Darwin :

« Ce n'est pas le plus fort de l'espèce qui survit, ni le plus intelligent, c'est celui qui sait le mieux s'adapter au changement »6

La littérature contient de nombreux articles sur les techniques de pose d'implants, les biomatériaux et les protocoles de mise en charge, mais elle donne très peu d’informations concernant l’analyse des coûts, au regard des techniques de prothèse implantaire.

Les congrès ont tendance à éluder les questions concernant le coût d’une pose d'implant et le profit qu’un chirurgien-dentiste peut réaliser grâce à cette procédure, comme si le seul objectif vraiment important, était la finalisation du traitement. Dans un pays tel que l’Italie, où la médecine dentaire s’exerce en grande partie en privé, les aspects économiques sont fondamentaux au point de vue de l’acceptation du plan de traitement par le patient. Même en termes d’éthique, si le chirurgien-dentiste pense que son implant est réellement la solution la plus satisfaisante pour un cas particulier, les coûts prohibitifs peuvent amener le patient à exclure cette éventuelle solution, ou le pousser à d’autres choix, tant sur le plan interventionnel (recours à d’autres solutions de restauration) que logistique (recours à un praticien dont les tarifs sont moins élevés, ou à un praticien installé à l’étranger).

Comme indiqué précédemment, on dénombre plus de 300 types différents d’implants en Italie. Conventionnellement, ils sont répartis entre plusieurs classes, selon divers facteurs, dont l’un est le prix d’achat. On pourrait toutefois avancer que tous les implants finissent par être ostéointégrés et que les prothèses les plus coûteuses sont simplement plus recommandées, mais que pour l'essentiel, elles sont fondamentalement identiques aux autres. Le marché italien compte de nombreux systèmes implantaires « faits maison » et peu onéreux, dont la littérature fait à peine état, et leurs fabricants sont incapables d’en garantir la fiabilité à long terme.7 Selon les estimations de vente des grands acteurs économiques de la production d’implant, huit sur dix de ces sociétés détiennent 90 % de la part actuelle du marché. En toute logique, les 10 % restant, qui regroupent environ 100 000 à 150 000 unités, peuvent être répartis entre les quelques 300 autres entités présentes sur ce marché. Quel peut être le nombre moyen d’implants vendus par chacune de ces sociétés (quoiqu’en disent leurs représentants aux chirurgiens-dentistes) ?

Ces données sont-elles étayées par des études de cas ou d’autres éléments de la littérature scientifique ? Il ne faut pas oublier que l’intervention implantaire comporte la pose d’un objet étranger, même s’il est fait de titane, dans la bouche d’un patient, et ceci pour toute la durée de sa vie, si tout va bien, mais avec des effets biologiques incontestables. Pour réaliser une telle intervention de manière correcte et sûre, conforme à l'éthique, je pense que le praticien doit se poser certaines questions et aller au-delà de la simple vérification du marquage CE de conformité, comme il le ferait dans le cas de la prescription d’un médicament. Qui oserait recommander la prise d’un antibiotique mis sur le marché depuis quelques années, et testé sur un nombre insuffisant de patients ?

Considérations financières
Après ces réflexions liées aux procédures et à l’éthique, je me penche à présent sur les postes de dépense que peut entraîner la restauration de prothèses implantaires. Mon évaluation n’est pas celle d’un expert en marketing ou en économie, mais celle d’un simple praticien qui doit au quotidien soupeser les facteurs qui affectent réellement la pratique clinique quotidienne.

Elle tient compte des coûts variables et des coûts fixes. Les coûts variables évoluent plus ou moins proportionnellement avec les modifications du volume des prestations(la pose de deux implants et de deux couronnes coûte davantage que la pose d’une seule prothèse ; la rémunération d’un assistant pour un travail de deux heures est inférieure à celle d’un travail de huit heures). Les coûts fixes sont des postes définis, qui sont indépendants du volume des prestations. Les coûts fixes en médecine dentaire représentent l'ensemble des postes liés à l’exercice de la profession, tels que les coûts engendrés par la nécessité d’une radioprotection, la vérification du système électrique, la stérilisation, l’élimination des déchets, la souscription d’une police d'assurance, la location/l’acquisition des locaux et les services en général.

Les coûts fixes interviennent dans tout type de service rendu dans l’exercice de la profession (Tableau I). On considère généralement qu’un système d’implant moins cher est nécessaire pour réduire les coûts (Tableau II), au regard du traitement implantaire. Selon l’analyse des coûts variables, il est évident que les frais liés à l’espace de stockage et aux composants de l'implant sont significatifs.

Si un système implantaire nécessite plusieurs temps chirurgicaux, l'utilisation de nombreuses fraises, de différentes plateformes selon le diamètre du col de l’implant, d’un tournevis chirurgical et d’un tournevis prothétique ; ou si différents piliers de cicatrisation sont nécessaires pour chaque implant placé, le coût final variera considérablement, avec un risque accru d’erreurs et d’imprécisions (Tableaux III et IV). En particulier, si le système implantaire comporte différents diamètres, chacun requérant un pilier de cicatrisation différent, une coiffe de transfert différente et un analogue d’implant différent, la quantité de matériel à stocker sera beaucoup plus importante, selon la solution prothétique envisagée pour chaque cas. En ce qui concerne les piliers de cicatrisation, le stockage des différentes longueurs et diamètres correspondant à chaque taille disponible (au moins quatre pour les systèmes implantaires principaux), nécessite des douzaines de piliers de cicatrisation, même si un nombre restreint d’implants sont placés. Tout ceci conduit aussi inévitablement à des erreurs, des malentendus organisationnels, etc.

Si la vis de couverture et le pilier de cicatrisation étaient proposés avec l’implant, et donc déjà inclus dans le conditionnement (et par conséquent dans le prix d’achat), les choses seraient bien plus ergonomiques. Il ne serait plus nécessaire de stocker d’autre matériel ou de réutiliser des piliers de cicatrisation en titane, avec le risque inévitable associé d’induire une péri-implantite pendant le désenfouissement.

Coûts liés aux conditions de stérilité
Dans une étude sur les taux de réussite de l’ostéointégration d’implants, placés dans des conditions stériles par rapport à des conditions de propreté, Scharf et Tarnow ont conclu que la différence de taux n’était pas statistiquement significative.8 La chirurgie sous conditions stériles avait été réalisée dans un bloc opératoire, après l’application d’un protocole de stérilisation très strict.

La chirurgie sous conditions de propreté avait quant à elle été réalisée en milieu clinique, en veillant impérativement à ce que rien ne touche la surface de l’implant jusqu'à sa mise en contact avec le site osseux préparé. Les résultats indiquent que la chirurgie implantaire réalisée dans les deux conditions, stérilité ou propreté, peut permettre d’obtenir le même taux élevé d’ostéointégration clinique. En conclusion, bien qu’il ne soit donc pas essentiel d’engager des frais pour obtenir des conditions de stérilité absolue (Tableau V), les praticiens ne devraient cependant pas réaliser un acte chirurgical, sans avoir pris les précautions suffisantes à cet égard. Les modestes économies obtenues au regard du coût total de l’intervention, pourraient conduire à une augmentation significative du risque d'échec.

Il ne faut pas perdre de vue qu’un système d’implant insuffisamment testé peut mener à des erreurs banales (difficulté de prise d’empreinte exacte, durcissement/rétraction des composants, rotation ou dévissage des éléments prothétiques), et par conséquent à une inévitable perte de temps qui, à son tour, se répercute sur le prix et l’achèvement du travail. Quelle est la logique d’épargner 50 euros sur le coût total du système implantaire, si l’on doit investir autant, sinon plus, dans l’achat de composants séparés ou dans le temps passé à voir le patient plusieurs fois, en raison de ces erreurs banales (compte tenu du tarif horaire indiqué précédemment) ?

Par ailleurs, si un échec est toujours un facteur dont il faut tenir compte, il n’empêche qu’un chirurgien-dentiste doit chercher à éliminer les échecs prévisibles et évitables, dont il peut en partie être responsable (à savoir un travail dans des conditions précaires de stérilité, l’élaboration d’un plan chirurgical inapproprié, et la détermination incorrecte ou inadéquate des séquences chirurgicales dont il a été question précédemment). Un échec prévisible et évitable peut non seulement conduire à un préjudice économique facilement quantifiable, mais aussi à un préjudice important et moins facilement quantifiable, en termes de réputation et de crédibilité du centre dentaire, susceptible de modifier la confiance du patient envers le praticien et sa volonté de recommander le centre dentaire.

Conclusion
Pour conclure, la gestion des coûts en chirurgie implantaire requiert la prise en compte des points suivants :

  • attention particulière aux coûts importants ;
  • simplification et rationalisation des procédures cliniques et paracliniques ;
  • identification d’autres choix de traitement au moyen d’une analyse différente des coûts et bénéfices ; et
  • plan de réduction ou d’élimination des erreurs et des coûts importants qui y sont associés.

Ces précautions contribueront à une meilleure compréhension et à un raisonnement plus éthique et responsable qui nous permettront de déterminer le réel degré de nécessité d’un nouveau système implantaire, et les critères sur lesquels nous baser, pour évaluer sa réelle fiabilité. Quel est le véritable effet du prix de l’implant sur le coût total encouru par le centre dentaire ? Ne nous laissons pas égarer dans le choix d’un élément, qui ne semble pas être d’une importance primordiale en termes de coût absolu. Une de nos préoccupations finales doit être le coût en termes de réputation du centre dentaire, pensons par exemple à un échec qui aurait pu être évité.

À la lumière de ces réflexions, le choix de protocoles et d’un matériel plus rigoureux, ainsi qu’une meilleure prise en compte de l’aspect éthique de nos évaluations, nous permettront de réaliser une réduction réelle des coûts, dans des postes qui n’interfèrent pas directement avec la qualité du travail que nous fournissons. Nous devrions tenter de réduire les coûts dans les domaines qui affectent le résultat final, et risquent d’avoir d’importantes conséquences pour nous personnellement, notre professionnalisme, et nos patients qui nous accordent leur confiance en remettant leur santé entre nos mains. Avons-nous le droit de tromper cette confiance ou avons-nous plutôt le devoir de la préserver et de la respecter ?

Note de la rédaction : une liste complète des références est disponible auprès de l'éditeur. Cet article est paru dans DT Study Club, numéro 01/2014.

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